Laurence Cornet a sélectionné l’exposition « Amitié Eternelle » d’Anouck Durand.
Au rez-de-chaussée du Bureau des Lices, l’espace de « Parade » temporaire des Rencontres d’Arles, la pénombre ambiante est percée par la lumière fébrile des lampes portables des visiteurs. A la torche, ils décryptent les pages du roman-photo imaginaire et documentaire composée par Anouck Durand et publié par Xavier Barral au mois de mai. Le décor est planté par une affiche de Mao tout-puissant.
Le décor est planté par une affiche de Mao tout-puissant. Pékin, 1970 : la Chine du marxisme- léninisme triomphant, de « l’amitié éternelle, solide comme le granit », qui unit la République populaire et l’Albanie. C’est ce qu’on lit sur les premières images-pages de l’exposition.
Enquête sur l’iconographie de l’Albanie communiste des années d’Enver Hoxha, Amitié éternelle retrace la mission officielle de trois photographes partis pour quatre mois en Chine alliée pour apprendre un procédé de colorisation des images supposé rendre justice a la grandeur de leur dirigeants et de leur industrie. « Puisque Enver est aussi grand que Mao, nos dirigeants ont décidé que cette technique serait également utilisée pour réaliser les portraits du camarade Premier secrétaire du comité central du Parti du travail d’Albanie », explique le héros Refik Veseli. La réalité est toute autre : « Aucun de nous n’est convaincu par cette méthode si complexe et arriérée, nous espérons que l’on ne va pas nous retirer les pellicules Kodak », confie-t-il peu après. La voix du narrateur est reconstituée à partir d’extraits d’interviews a posteriori, et le récit s’appuie sur des ressources variées, détournées la plupart du temps de leur propos original : les pages sont remplies de posters de propagande, de coupures de presse de l’époque et de photographies personnelles des trois photographes partis apprendre la technique inutile afin d’éviter tout incident diplomatique. La brouille officielle arrivera irrémédiablement en 1978, mais pendant cette courte décade d’inébranlable entente, « les Chinois aident a la construction de centrales électriques, d’usines métallurgiques, d’usines textile, de raffineries ».
Par conséquent, nul ne pose de question. Les conséquences de la curiosité ne sont pas claires mais suffisamment explicites et Refik le comprend très tô : le silence est la règle d’or.
Le même silence s’impose aux images, dont l’absence ou les lacunes impliquent l’histoire. L’originalité de l’approche d’Anouck Durand consiste d’ailleurs notamment, au-delà du riche travail de recherche iconographique et ethnographique, à avoir imité les codes et techniques de la censure dictatoriale : un personnage disparaît dans la tranche du livre, certaines silhouettes sont effacées grossièrement, quand elles ne sont pas carrément brûlées.
La censure ouverte genère la peur. La réutilisation de ces images génerent la connaissance.
EXPOSITION
Amitié éternelle
Anouck Durand avec Refik Veseli, Pleurat Sulo et Katjusha Kumi
Dans le cadre des Rencontres d’Arles
Jusqu’au 31 août 2014
Bureau Des Lices
13200 Arles
France