A chaque annonce des résultats du World Press Photo, à chaque ouverture du festival Visa pour l’Image de Perpignan, à chaque publication d’une photographie – essentiellement des photographies d’actualité puisqu’il semble acquis que les portraits du monde du spectacle ne sont pas susceptibles de poser le même type de problème – on fait le procès de la « retouche ». On hurle à la falsification, on éreinte la « manipulation » au nom d’une vérité et d’une pureté supposées de la photographie dont on veut nous faire croire qu’elle est absolument fidèle à un réel qu’elle représente.
En collectionnant, durant trois ans, plus d’une centaine de photographies provenant d’archives de quotidiens américains – entre autres The Chicago Tribune, The Baltimore Sun, The Boston Herald, The Denver Post, The Detroit News – Raynal Pellicer remet les choses à leur place, avec une bonne dose d’humour et un sens très sûr du graphisme. Au moment où, pour des raisons de place, pour économiser encore un peu plus en ces temps difficiles les titres de la presse écrite se débarrassent de leurs archives il montre agréablement que le faux débat esquive le centre nerveux qui devrait être questionné. Nous disons tous, par facilité, avoir vu une photographie dans le journal. Cela est évidemment faux et il faudrait, pour désigner correctement ce que nous sommes en train de regarder, revenir à une évidence : nous contemplons la reproduction imprimée d’un document photographique. Or, pour aboutir à ce résultat, il a fallu passer, de tous temps, par des étapes techniques permettant l’impression. Traitements techniques du contraste, tramage, photogravure, adaptation de l’image à l’espace qui lui est réservé, entre autres. Certes, le temps où l’on recadrait systématiquement les photographie afin de les faire entrer de force dans la colonne où elle allaient devoir figurer en illustration est terminée dans la presse qui se préoccupe un tant soit peu de photographie et de son esthétique. Encore que l’on peut citer un nombre considérable de quotidiens où l’on ne traite pas mieux l’image que dans les exemples réunis aujourd’hui dans une exposition et un livre et qui couvrent la période entre 1910 et 1970.
En ce temps là, alors que l’on travaillait directement sur des tirages photographiques, des artisans les préparaient pour la publication. Sur les indications du directeur artistique, du maquettiste – qui eux-mêmes mettaient en forme des décisions de la direction éditoriale – ils cadraient, coupaient, tranchaient, parfois un peu violemment puis s’occupaient de revoir l’aspect général du contraste de l’image. A l’aérographe, au pinceau, à l’encre de chine, à la plume, à la gouache, ils modifiaient le fond, détouraient, isolaient un personnage, soulignaient un détail, un bouton, une aigrette sur un chapeau ou rendaient plus éclatantes les dents d’une vedette de quelques coups de plume. Il ne s’agissait pas, en l’occurrence, de « mentir » comme cela avait pu être le cas avec les montages et autres disparitions de personnages sur des documents historiques dont la période stalinienne fut particulièrement friande. Il s’agissait de faire au mieux pour utiliser l’image.
On trouve d’ailleurs très souvent, au dos de ces tirages photographiques, des notes manuscrites, indications de la page de publication, de la date, des dimensions souhaitées, des côtes de photogravure et, parfois, une collection de petites coupures qui servaient à ce que l’on n’utilisât pas l’image de la même façon la fois suivante. Ainsi, chaque image venue des archives contient sa propre histoire.
On apprécie tout particulièrement, dans el choix des documents, l’attention aux involontaires réussites graphiques nées d’un recadrage qui redresse la perspective, inclut un personnage dans une lettrine, invente un fond en demi cercle ou l’accompagne de toutes les fantaisies décoratives du moment pour qu’il s’inscrivent au mieux dans le style de la publication.
Si ce sont les stars du cinéma hollywoodien qui constituent l’essentiel de la collection, c’est qu’elles ont été abondamment publiées, que les studios de cinéma de l’époque n’étaient pas avares dans leur distribution aux journaux des photographies qu’ils publiaient pour faire la promotion des films et que le « people » ne date pas d’hier… Mais la collection rassemble également des documents traitant d’autres personnages médiatiques, des sportifs entre autres, quelques hommes politiques, de Fidel Castro à Hiro Hito et de malfrats de haute tenue. Une séquence mafieuse particulièrement réussie nous permet d’apprécier aussi bien le travail du retoucheur sur les voitures que sur les armes, sur les portraits de gangsters ou inspecteurs et sur quelques cadavres.
Cette plongée dans une mémoire de la presse dont des tonnes ont déjà disparu a le mérite, outre qu’elle conserve des documents et des objets uniques, de bien préciser de quoi il est question. Hier comme aujourd’hui. Toute utilisation de photographies dans une publication est une mise en scène, réglée autant que possible dans les moindres détails, et pour laquelle le photographe n’a jamais à l’époque – et rarement aujourd’hui – son mot à dire. Cette mise en scène, qui fonctionne toujours par manipulation d’un document original peu précis mais dont la forme est d’autant plus séduisante qu’elle est reconnaissable est aussi une incitation pour guider le lecteur vers une interprétation de l’image par le lecteur. Celle que souhaite la publication. On sait que l’interprétation d’une image est fonction du contexte dans laquelle on la place et la démonstration est ici faite que le graphisme, tous les éléments graphiques, sont une partie non négligeable de cette mise en situation.
Si cette collection est séduisante, si on la sent réunie avec un immense plaisir et une lecture attentive des images, si l’on s’amuse de certaines anecdotes, si la disparition d’une cigarette au bec d’un acteur ou l’injonction d’inverser le cliché amènent un sourire, elle nous rappelle bien des choses, sérieuses, que nous ne devrions pas oublier lorsque nous voyons une photographie reproduite dans la presse. Si les lecteurs de l’époque avaient eu accès à cet ouvrage, peut-être que la crédulité collective en la « véracité » de la photographie considérée comme une preuve aurait été largement entamée. Peut-être même qu’elle n’aurait jamais existé.
Espérons simplement que le plaisir de retrouver ces images anciennes apportera un peu de sagesse, voire de sérénité dans les débats actuels. Il n’a pas fallu attendre Photoshop pour « truquer » les images. C’est juste un peu plus facile et un peu plus rapide aujourd’hui.
Christian Caujolle.
Publié dans Internazionale, numéro 1006 du 28 juillet.
EXPOSITION
À Fonds Perdus
Collection Raynal Pellicer
Du lundi 1er juillet au dimanche 22 septembre 2013
Parc des Ateliers
Atelier des Forges
13200 Arles
De 10h à 19h30
8 €
LIVRE
Version Originale – La Photographie De Presse Retouchée
Raynal Pellicer
Editions de La Martiniere
240 x 285 mm – 232 pages
ISBN : 2732454214
42 €