Vous occupez vous de tous les livres photographiques publiés par Actes Sud ? Comment se répartissent les rôles entre Jean-Paul Capitani et vous ?
Parallèlement à ses fonctions de co-direction de la maison Actes Sud, Jean-Paul Capitani dirige l’ensemble du département Beaux-Livres, dont dépend la photographie, qui recouvre différents domaines qui vont de l’architecture à la nature avec, pour chacun, un éditeur ou une éditrice en charge du catalogue et de la programmation. Le département photographie dont j’ai la charge se décline en deux axes : la publication de la collection Photo Poche, dirigée par son fondateur Robert Delpire avec lequel je collabore étroitement depuis 1983, et l’édition d’albums ou monographies plus spécifiquement fondée sur une politique d’auteurs. La répartition des rôles et des titres s’opère de façon naturelle en fonction des goûts, centres d’intérêt et affinités électives de Jean-Paul Capitani et moi-même; nous nous consultons en permanence sur l’opportunité de telle ou telle décision de publication et, pour les ouvrages dont je n’assure pas la responsabilité éditoriale, mon rôle s’apparente à celui d’un conseiller pour la photographie; étant précisé que dans la réalité de l’activité quotidienne le formalisme ici décrit reste d’une grande fluidité et caractérisé par un réel esprit d’ouverture.
Photo Poche est un éléments essentiel des publications Actes Sud. Cela représente combien de titres par an ? Et quel chiffres d’affaire ? En comparaison avec les autres titres.
En décidant en 2004 de reprendre la collection Photo Poche et d’en assurer le développement continu, Actes Sud entendait marquer sa pleine et entière inscription dans le champ de l’édition photographique. Cet objectif est très largement atteint aujourd’hui; pour y parvenir, des efforts d’investissements substantiels ont été consentis notamment dans le domaine international comme l’attestent les versions étrangères de la collection qui se décline aujourd’hui dans cinq langues. Compte tenu du prix public volontairement modéré (13 E), du choix des titres et des standards de qualité (impression, papier, photogravure) la rentabilité de la collection reste un défi constant et sa contribution au chiffre d’affaires du département Beaux-livres peut-être qualifiée de modeste.
Suivez vous les collections Fondation HSBC pour la Photographie ou Prix Carmignanc qui sont des prestations pour des partenaires institutionnels de la photographie ? Et pour les catalogues comme celui des Rencontres ou Photoquai ?
Actes Sud est en effet le partenaire éditorial de nombreuses institutions ou événements qui traitent de la photographie. La collaboration et le suivi du processus éditorial peuvent prendre différentes formes selon le type et l’importance des projets abordés. Chaque stade de la production (conception, traitement graphique, fabrication, commercialisation) donne lieu à un dialogue entre Actes Sud et le partenaire institutionnel. La récente collaboration entre la fondation Hermès et Actes Sud nous semble exemplaire de ce point de vue. Elle a donné lieu au printemps 2013, à la parution du très beau livre de Jacques Henri Lartigue: « Chic, le sport! ».
Quelle est la proportion de titres créés et de titres repris d’éditeurs étrangers ?
Elle varie selon les années, et s’établit en moyenne à 70% de créations pour 30 % de reprises en édition française.
Est-il possible aujourd’hui, pour maintenir des prix acceptables, de publier sans coéditions ou pré achats ?
La chose reste possible, même si elle devient la portion congrue. Les grands projets éditoriaux type monographies, ouvrages d’importance à caractère historique ou thématique, rétrospectives, nécessitent impérativement des coéditions ou des aides à la création si l’on souhaite qu’ils restent économiquement accessibles au grand public. Une grande partie de notre activité est consacrée à la recherche de coéditeurs internationaux susceptibles de partager avec nous l’aventure éditoriale. L’édition récente de la première monographie de l’œuvre de Pentti Sammallahti (« Ici au loin »), qui a connu un grand succès, n’a été possible que dans le cadre du Groupe des éditeurs européens de photographie dont Actes Sud est membre pour la France.
Le secteur de la librairie est en difficulté. Or les libraires sont essentiels pour les livres de photographie. Comment voyez-vous l’avenir dans ce domaine ?
Grâce à la loi Lang de 1982 sur le prix unique du livre, la France possède encore un réseau de librairies que l’Europe et le monde nous envient. Protéger ce réseau, sa diversité et son implantation territoriale, est une préoccupation constante des dirigeants d’Actes Sud. Ces efforts ne peuvent cependant aboutir que si les lecteurs eux-mêmes consentent à faire vivre la librairie; à cet égard, on peut s’interroger sur l’acte d’achat d’un livre de photographie par Internet qui non seulement participe de la disparition du lieu d’échanges culturels qu’est une librairie mais qui engage, par sa dématérialisation, une modification du rapport sensuel, tactile à l’objet livre. Pour la photographie, plus encore que pour d’autres disciplines, la librairie reste le temple de toutes les découvertes et un espace d’initiation incomparable…
Y a-t’il une perspective dans le domaine du livre numérique pour le livre photographique ?
Le livre numérique est déjà présent au sein du catalogue d’Actes Sud, essentiellement dans le champ de la littérature et, plus généralement du texte, où des développements importants sont en cours. La question du livre numérique de photographie est d’une grande complexité. Se pose d’abord la question purement éditoriale de la définition du contenu, du « concept-objet »‘… En clair, du statut d’une création qui ne soit pas une simple numérisation de l’objet papier agrémentée de quelques gadgets audios ou vidéos. En termes économiques, on découvre également depuis quelques temps que le « modèle » n’est pas encore totalement viable; soit parce qu’il nécessite des investissements extrêmement lourds, soit parce qu’il cannibalise des marchés ou des partenariats potentiels ( un seul opérateur qui agit en plusieurs langues), soit enfin, parce que les amateurs e photographie ne sont pas encore pleinement attirés par le téléchargement sur smartphone ou tablette de leurs ouvrages favoris. Enfin, et peut- être surtout, il convient de prendre en compte la volonté des auteurs, en l’occurrence des photographes, d’éditer et de diffuser leurs oeuvres sous forme numérique… Frank Horvat, qui conduit depuis plusieurs années une réflexion et une recherche sur l’édition numérique de son oeuvre est certainement un précurseur dont les photographes et les éditeurs doivent considérer attentivement les travaux.
Propos recueillis par Christian Caujolle