Christophe Laloi est le directeur du festival Voies Off. Cet ancien élève de l’école sort de la promotion Claude Cahun (1996). “Une promotion dynamique et soudée, j’y ai eu une vraie vie d’étudiant. La place que j’occupe sur le Off m’a permis de suivre les travaux de tout le monde. A l’occasion du livre “Qu’avez-vous fait de la photographie ?”, je me suis rendu compte que j’avais passé 17 ans à m’occuper des autres. C’est très étrange, car j’étais gêné de répondre, avec cette sensation de n’avoir rien fait.”
Le travail autour du festival est conséquent, “Alain Desvergnes (ancien directeur de l’école) m’a confié qu’il avait eu le temps de s’occuper de lui qu’une fois à la retraite. J’apprécie ce qu’il est, nous avons toujours eu des échanges nourrissants.”
“Lorsque je suis entré à l’école je me suis mis à travailler pour la première fois de ma vie. Avant, j’avais fait tous les boulots : de mécanicien à la vente sur les marchés, ou encore jouer au sein d’un groupe de Rock. La photographie m’a fait prendre goût aux études. Comme je n’avais pas les moyens de faire l’ETPA à Toulouse, je me suis inscrit en histoire de l’Art à l’université du Mirail.”
A la sortie de l’école d’Arles, j’ai complété mon profil de directeur artistique par celui de chef d’entreprise. L’ENSP arme bien pour découvrir certaines choses. Personnellement, j’ai tout appris dans ce lieu. Cette aventure de trois ans change un être. Nous vivions dans une cocotte minute, avec la chance de parler photographie 24h sur 24. Ceux qui aimaient faire des images était forcés de lire et ceux qui préféraient lire ou écrire étaient forcés de photographier”.
L’idée du Off est venue naturellement. A l’époque, un personnage atypique animait le place du forum. Jean-Louis Chavassud, reporter et grand gueule, venait tous les soirs avec son drap et un carrousel Kodak en expliquant que la photographie n’était pas celle que le festival présentait. “Le “Chat » t’engueulait facilement, il a tenu cette même place pendant dix-sept ans. Le problème est qu’il n’a pas pu développer financièrement son association « Forum photo » et a fini par arrêter par manque de moyens.”
Deux festivals se sont passés avec la place vide et un grand regret pour tout le monde. “Un jour en cours, Christian Gattinoni a posé la question si quelqu’un pouvait reprendre le flambeau. J’ai levé la main et j’y suis encore. C’était en 1995 et je sortais d’un stage de deux mois et demi à Abax, la société qui organise les soirées du festival Visa pour l’Image. Laurent Langlois et Jean Lelièvre m’ont fait découvrir le domaine de l’audiovisuel et les coulisses de la gestion des soirées de Visa.”
“Alain Desvergnes nous a beaucoup aidé, il nous a ouvert l’école en mettant le matériel à notre disposition. La première édition fut un vrai coup de massue : 5.000 images ont été reprographiées et mises sous cache de verre. Un mois et demi de travail et une équipe de 8 personnes mobilisées. La recherche de musique s’est faite ensemble. De bons moments mais ce fut très fatiguant.”
Les anecdotes sont nombreuses, notamment ce coup de coeur en 1996 pour un inconnu qui est venu nous voir pour nous montrer 78 diapositives. Nous avons tout pris, un très beau travail, c’était Antoine Dagata. Les moments forts, c’est aussi le fait que “durant 14 éditions, le festival était remis en cause tous les ans. Tout le monde en voulait mais personne ne le finançait”.
“Un des plus gros coups durs fut lorsque nous avons déménagé de la place du forum à la cour de l’Archevêché. De 1.700 personnes par soir durant 4 ans, je me suis retrouvé au vernissage dans la cour de l’archevêché avec personne. Je me suis dit que j’allais devoir changer de vie, de ville. Que tout était fini ! Un quart d’heure plus tard la cour était pleine, c’était reparti de plus belle”.
“Je ne crois pas au coup d’éclat mais au travail. Le Off s’est creusé dans la longueur. Aujourd’hui, il bénéficie d’une réputation dans l’Europe entière. Nous avons trouvé un équilibre financier. Le milieu de la culture est difficile mais nous sommes contents. La ville, le département et la région nous soutiennent, ils sont vigilants et bienveillants.”
“Idéalement, j’aimerais aller vers le plus de qualité possible en matière de direction artistique. Exporter encore plus nos projections et nos choix photos. Cette année nous étions en Islande, au Portugal, en Turquie… Le Prix Voies Off s’est considérablement développé : 1.500 dossiers de plus de 60 pays avec une participation payante. Nous recevons des dossiers de très loin, c’est souvent inédit. Une veille s’est naturellement mise en place. Nous brassons beaucoup de regards différents.”
En parallèle, deux structures ont vu le jour : l’atelier et la galerie Voies Off. Il y a 5 ans, nous avons eu l’opportunité de créer une SARL. Cette année, nous sommes fiers d’avoir produit neuf expositions pour les ateliers SNCF. Il s’agit de tirage “ Fine Art”. Notre tireur est Sunghee (Coréen), un ancien de l’école. Il a d’ailleurs eu le plaisir de tirer sa propre exposition. Pour ma part, tirer l’exposition d’Arnaud Claass,mon ancien professeur m’a fait penser que la boucle s’était joliment bouclée”.
“Nous maîtrisons tous la chaîne depuis la numérisation jusqu’au contre-collage. Au niveau de notre clientèle, alors que nous avions commencé par le réseau des photographes, plusieurs institutions sont venues à nous : le Frac de Corse, le CRAC de Sète, le festival d’Avignon, le IN d’Arles, des musées… Progressivement, nous avons appris à travailler avec les institutions.”
“Aujourd’hui, les Voies Off, c’est un festival, une galerie et un laboratoire. 7 permanents à l’année et 60 personnes au total durant le festival. Entre les salariés, les stagiaires et les bénévoles, c’est une grande famille. Les bénévoles portent le festival. Sans eux, rien ne serait possible. Ils viennent de partout : de Londres, Sao Paolo, Bruxelles, Paris… Tous les jours, nous nourrissons 60 personnes.”
“Je me pose toujours la question de savoir si le off est un off, ou une part des rencontres ? Aujourd’hui, notre budget de fonctionnement n’est pas remis en question. Nous faisons en sorte d’occuper une place intelligente et d’y rester. Notre axe est toujours la découverte de la photographie émergente. J’apprécie de constater que parmi les anciens de l’école qui sont exposés cette année dans le IN, la plupart ont eu le prix voies-off.”
Mon souhait est de continuer de travailler dans la découverte et en cohérence avec les trois structures. Une osmose et un écosystème sont en train de se créer”.
Photographie et entretien réalisé par Wilfrid Estève