Sunghee Lee – ENSP 2008
Très loin à l’est, il y a l’ouest / 1
Ça commence en Corée, il y a quelques années déjà, ça commence en noir et blanc avec une chambre 20 x 25 cm. Déjà le panneau vide et déjà on lui dit les Becher, Bernd et Hilla Becher. Là-bas, en Corée, on est pour ou contre les Becher. Lui se demande si une typologie, une litanie de panneaux vides, ne va pas ennuyer le spectateur. D’abord, pourquoi le panneau d’affichage vide ? Parce que, comme il le dit, c’est un espace offert, comme un écran vide, pour y projeter des interrogations, des fantasmes. Mais le panneau vide ne se suffit pas à lui-même. Et puis toujours cette angoisse de l’ennui, de la monotonie. Comment redonner de la dynamique à un sujet qui a tout de statique ? Et cette envie, obsessionnelle, de photographier ces panneaux, et cette sensation bizarre qui l’occupe. Comment la partager, cette sensation, cette curiosité innommable ? Il essaie d’y répondre au fil des prises de vue. Il multiplie les angles, les distances. Il recule. L’environnement du panneau rentre dans l’image. Son cadre fait, il est là, il attend. Il attend le micro-événement, la micro-histoire qui, ce n’est pas du Jeff Wall, ne sera jamais mise en scène. Et alors, des hommes dans le panneau, ou des hommes sur le panneau, ou des hommes jouant au foot, ou un avion-libellule, ou un chien qui défèque, là, tout petit, à gauche, sous le panneau, un sacrilège, un blasphème anti-Becher. Après l’école d’Arles, il va à Düsseldorf. Il ne peut pas s’en empêcher. Il va voir ce qu’il reste de cette école, les uvres, les grandes, les très grandes en format et le laboratoire qui les fabrique et là, comme il assume pleinement ce petit chien qui défèque, nous passons, nous spectateurs, de la sculpture par Becher à la photographie par Sunghee Lee.
Jean-Luc Amand Fournier, commissaire d’exposition et enseignant à l’ENSP