Bertrand Noël, sans avatar !
Bertrand Noël appartient à cette génération de photographes totalement à l’aise dans l’expression de multiples talents. Pour le chef–opérateur, photographe de plateau qu’il est tout à la fois, la construction de l’image de cinéma ou photographique est l’outil privilégié de son rapport au réel. Pour éviter dans notre univers sur-communicant, comme il le souligne dans sa série « Pandémie », « d’être otage du confort et de la paranoïa ».
La production des images de Bertrand Noël est d’une singulière diversité et d’une rare qualité, qui conjugue l’alternance de la couleur et du noir et blanc, de photos de rue ou de portraits intimes.
Dans « Pictures for women », Bertrand Noël en hommage à l’œuvre éponyme réalisée en 1979 par un de ses maîtres à penser, Jeff Wall, réussit merveilleusement à nous interpeller sur les rapports homme–femme. Face à nous, des femmes faussement, subtilement lascives n’ont jamais de regard frontal. Toujours de biais, les yeux clos ou à demi ouverts, leur regard initie une ligne de composition qui accentue la profonde introspection qui semble les habiter, tels les archétypes révolus d’une féminité, apparemment codifiée, sinon caricaturale des années 80, mais d’une beauté étrangement contemporaine.
Révélant ces Mona Lisa d’une photographie qui séduit et interroge, chacune de leur main délicatement posée, comme avec précaution sur l’épaule, la joue, autour d’un collier, dans l’équilibre d’une lumière subtilement élaborée , donnent chair à l’expression d’un féminisme comme retranché en son for intérieur.
Expert dans la retouche numérique Bertrand Noël a littéralement « lissé » cette vision de femmes en proie à la réappropriation de leur nature, de leur destin. Par effet de contraste, des hommes dans une rue toute éclairée à la Prévert, semblent dans l’impasse d’une nuit sans fin. Bertrand Noël n’est pas pour autant tombé dans la pratique d’un esthétisme gratuit, sans avatar aucun. Son sens de la lumière, son art très minutieux de la composition ne l’éloignent pas du réel. Bien au contraire, au cœur des rapports humains en plein devenir, il fait poser et opposer femmes et hommes, à sa manière, troublante, originale , toute empreinte de pudique émotion pour mieux interroger le futur de l’éternelle cohabitation entre les deux sexes.
Alain Mingam
