Personnalité réfléchie, exigeante et tenace, Rémy Fenzy a commencé sa carrière dans l’administration à l’Ambassade de France de Reikjavik (Islande), puis a décidé de compléter sa formation supérieure à la Sorbonne (Paris I), avant de devenir professeur des écoles d’art, puis directeur de l’Ecole Supérieure d’Arts de Brest jusqu’à sa nomination à celle d’Arles en 2010. L’ancien étudiant de l’ENSP (deuxième promotion), se plaît à dire que la différence entre Arles et les grandes écoles étrangères réside dans le fait qu’au delà de la pratique d’une photographie riche en diversité, le principe de l’école est un projet de vie. “Contrairement à ce que l’on pourrait penser, je n’avais pas de plan de carrière, ni ce poste de directeur pour seul objectif. Il s’agit plutôt d’un concours de circonstance. J’ai été choisi parmi quarante candidats, cela est venu naturellement.” Ce dimanche 1er juillet, il entrera dans sa troisième année d’exercice.
“Mon travail personnel et les expositions que je réalisais m’ont permis de voyager fréquemment. J’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de pénétrer dans le monde des écoles d’Art, ce fut une révélation et un choc. Sortant d’Arles et avec une certaine maturité, j’ai pris conscience de l’extrême importance de ces lieux. Les questions de pédagogie, de transmission sont au coeur du processus de construction de la jeune création. Accompagner les étudiants, les amener à des réflexions, autant d’éléments qui les aideront plus tard à faire oeuvre. La photographie est la passion d’une vie. Au sein de l’école, les possibilités d’approfondir son étude sont multiples. A Arles, une candidature n’est jamais le fruit du hasard. Les personnes sont âgées, responsables et conscientes de la manière dont ils vont instrumentaliser l’enseignement.”
La fille ainée des Rencontres fête cette année ses 30 ans. 674 élèves en sont sortis diplômés. Elle travaille aujourd’hui à son renouveau. Rémy Fenzy est attentif à l’évolution de l’institution : “l’héritage de Patrick Talbot est très beau, mon rôle est de faire fructifier ce qui a été mis en place”. Alors que l’association des anciens élèves va être créée et faire vivre un formidable réseau, un travail introspectif a été mené en parallèle et sous plusieurs formes. Les dernières publications en attestent, que ce soit la revue InfraMince (édité chez Actes Sud) qui continue d’examiner avec soin des problématiques indispensables à l’épanouissement d’une pensée cohérente tout au long de l’ouvrage. “Qu’avez-vous fait de la photographie ?” : ce regard dans le passé se devait de dresser un bilan pour mieux appréhender l’avenir. L’ENSP entame clairement une métamorphose mais tourne également une page. Ce lieu unique d’enseignement, aussi lieu de vie, doit aborder avec sérénité deux grands projets.
Le transfert de l’établissement, tout d’abord, sur le parc des anciens ateliers de la SNCF. “Il est vital pour nous de changer d’espace. Rester encore quatre années dans l’actuel bâtiment, ce serait finir par perdre notre force. Du côté de l’école le transfert est quasiment terminé. Aujourd’hui le projet est dans les mains des politiques.”
Le second est la reconnaissance d’un troisième cycle inédit dédié à la création. “Il y a au sein de l’école une forte dynamique de s’adosser à la recherche sans pour autant faire allégeance au modèle universitaire. La réforme de l’enseignement est fondamentale. Sans perdre notre âme, des partenariats ont été mis en place dans ce sens, avec L’ENS de Lyon, l’INSERM ou encore l’Université de la Méditerranée Aix-Marseille II.”
L’homologation par l’AERES au grade universitaire de master 2 devrait être effectif pour la rentrée 2013. Il permettra à l’étudiant d’accéder au grade de doctorat et à l’école de participer, comme membre fondateur, à la création du Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur Provence/Méditerranée.
“Par ce biais, nous souhaitons faciliter l’accès en thèse aux diplômés de l’ENSP désirant poursuivre leurs études. Il s’agit aussi d’un tremplin à l’échelle européenne. Nous n’étions pas intéressés par l’idée d’un doctorat déjà existant et avons imaginé un troisième cycle novateur et inédit. Ce nouveau doctorat “Création” demandera à l’étudiant plus un travail de création que d’écriture. Actuellement, il n’y a pas de diplôme équivalent en Europe. L’idée est aussi de ne pas nous limiter à nos étudiants mais d’en attirer d’autres. Ce troisième cycle d’excellence nécessitera des projets forts pouvant tenir trois ans. Nous sommes dans la finesse et seule une douzaine d’étudiants seront concernés.”
Rémy Fenzy a eu deux années scolaires pour prendre ses marques et analyser la situation. Aujourd’hui il souhaite accompagner la mutation de l’école. “Nous sommes fortement intéressés par les nouvelles représentations de la photographie. Des enseignements dédiés aux usages numériques vont être mis en place et un effort conséquent sur le développement de la formation continue est en train de se réaliser”. La création d’une classe internationale sur une année est aussi prévue. Elle comprendra des cours bilingues, l’apprentissage de la langue française ainsi que la poursuite de la pratique photographique. “Nous sommes conscients que l’économie publique est fragile et développons en parallèle des partenariats privés. Je tiens à remercier d’ailleurs l’engagement d’Olympus. Au-delà de l’école, ils accompagnent certains diplômés, ce type de collaboration est précieux. Aujourd’hui, de grands groupes comme la fondation Neuflize nous regardent avec bienveillance. L’école est sensible à leur investissement dans la recherche et la création.”
Chaque année, l’ENSP reçoit entre 800 et 1.000 lettres de candidature. 400 candidats retiennent l’attention et passent l’écrit, puis 80 sont admis à l’oral. 25 seront retenus. “Dans le cadre de la loi d’études du devenir des diplômés de l’école, nous ne pouvons dépasser les 25 car le marché ne peut les absorber. Ce serait trop périlleux pour eux.”
Depuis 30 ans, trois promotions regroupant un total de 75 étudiants se côtoient. “Nous devons former des étudiants “photographes auteurs”. Au-delà de la pratique photographique, l’école a pour mission de les ouvrir à plusieurs spécialités dont l’iconographie, la restauration, la conservation ou la valorisation des fonds. “Mais en sortant de l’école, tous sont photographes. S’ils revendiquent une pratique artistique ou appartiennent à une galerie ils peuvent aussi vivre d’autres activités, exercer dans un domaine proche.”
Sortir de trois années passées au sein d’un des plus beaux hôtels arlésiens et se frotter aux réalités d’un marché complexe à appréhender peut se révéler un choc. D’autant que l’institution comporte une bibliothèque spécialisée, des laboratoires individuels et collectifs, des régies vidéo et d’images numériques et un studio de prise de vue.
“Nous faisons très attention et tâchons d’éviter un sentiment d’abandon, ce qui est délicat car le projet de chaque étudiant est suivi sous un regard attentif. Entrer dans l’école est une performance mais après chacun est entouré, accompagné. Jusqu’à présent, le cordon ombilical était coupé brutalement dès la sortie de l’école, mais depuis cette année le conseil d’administration a décidé d’accompagner les diplômés durant deux ans encore. Il s’agit d’un accompagnement en terme de logistique, de recommandation et de “bons plans”. Ainsi, la sortie se fera plus doucement désormais.”
Cette année est particulière à deux titres pour les étudiants : l’association des anciens élèves de l’école va être créée et un livre sera pour la première fois dédié aux travaux de la promotion 2012 des diplômés. “Ce catalogue est publié chez “Diaphane éditions” dont le responsable est un ancien de l’école, Fred Boucher. Il s’intitule “Echappées belles.”
Pour conclure, Rémy Fenzy revient ce qui fait la force d’Arles : “Il n’y a pas de moule ici, pas de dogme, pas de vision comme à Düsseldorf. Pourquoi formater les regards, les sensibilités par rapport à une esthétique ou à un marché ? Chacun peut développer son projet personnel comme il l’entend, c’est une des richesses de notre enseignement.” Par contre, le bagage culturel est poussé. “L’étude de la photographie est fine et visite les différentes manières d’exister, d’un point de vue esthétique, social, historique… C’est unique en France.” Et tout comme lors du concours d’entrée, il est prêté une attention particulière à deux choses : “le potentiel de la personne, non pas ce qu’il présente à un instant T mais comment il va se positionner dans un contexte, comment il pourra se retrouver dans l’histoire de la photographie. C’est peut-être un peu lourd mais nécessaire. L’étudiant doit donner du sens à sa trajectoire et arriver à verbaliser son projet. Qu’il se destine à la photographie ou au commissariat, c’est prioritaire”.