Tout comme Christian Milovanoff aime associer des images, superposer des photographies ou, voir simultanément en transparence le recto et le verso d’une page de journal imprimé, trois autres facettes de sa personnalité vont nous être révélées durant ce festival. A nous de les saisir pour mieux comprendre l’homme.
Le mardi 3, mercredi 4, jeudi 5 et samedi 7 juillet, “Le Milo du soir” et son accent nîmois résonneront dans le Théâtre Antique. En début de soirée, Christian Milovanoff donnera une performance leçon critique sur différents genres photographiques. Comme une traversée dans les photographies et les pensées qui les animent, les hantent, les effrayent parfois. Quatre histoires qui préoccupent les photographes : portrait, classement, mémoire, paroles. Les titres laissent songeur : “On dit que les jeunes filles de Syracuse”, “Un beau souci”, “On se souvient” et “Des mots pour elle”. “François Hébel m’a offert 10 à 15 minutes, je n’ai pas pu refuser, c’est un beau cadeau. J’espère que ma voix ne me jouera pas des tours, c’est un exercice délicat car je ne connais pas le public. Et comme je ne ferai pas de populisme, on me découvrira tel que je suis en cours. Une dimension pédagogique bien évidemment mais aussi poétique. L’expérience sera troublante, car tenter un direct devant 2.000 personnes procure des émotions. Tout comme les photographies projetées. Au delà des images, je vais essayer de faire passer des idées. Il s’agit d’une parole sur la photographie. J’ai cherché des clichés peu connus de gens qui le sont. Pour la musique, j’ai choisi les « Variations Diabelli » de Ludwig van Beethoven.”
En journée, on pourra retrouver Christian Milovanoff au musée Réattu. Reproduire, monter, archiver, documenter, raconter, voilà les maîtres mots à l’oeuvre de son nouveau travail mi-documentaire, mi-fictionnel intitulé « Attraction ». Le photographe se livre à un étrange jeu sur la reproduction de ses propres archives qu’il déconstruit et sur le pur enregistrement photographique qu’il va également défaire et transformer. Christian Milovanoff fait sienne la formule de Jean-Luc Godard : « montage, mon beau souci ». Il s’agit pour lui de faire résonner plusieurs images entre elles et de constater ce qui se passe alors. Archiver, monter, reproduire pour organiser des « choses vues », pour ordonner le chaos du visible à travers des récits où la fiction renvoie au documentaire et inversement.
“Je mêle étroitement mon activité d’artiste à celle d’enseignant. J’apprends tout autant des étudiants que de mon travail”. Ces allers et retours remontent à l’époque à laquelle Alain Desvergnes l’a engagé. “Je n’ai pas eu le choix, il me l’a clairement demandé : avoir un enseignement lié à ma pratique artistique. Nous étions avec Arnaud Claass, les premiers professeurs. Alain nous a demandé d’imaginer nos cours, cela serait aujourd’hui impossible. Mais c’était la première école, il fallait tout faire et inventer. Au delà de l’enseignement de la photographie il s’agissait de trouver une voie singulière par rapport aux autres arts visuels. Sans parler de notre rapport aux étudiants. Nous avons imaginé à la fois un enseignement et un accompagnement de projets artistiques. Nous les suivons durant trois ans, jusqu’au diplôme.”
Les débuts ont été durs mais stimulants, l’équipe est réduite à deux professeurs. “Les locaux étaient ceux actuels mais sans la bibliothèque. Je peux dire que durant quatre ans nous avons physiquement essuyé les plâtres. Aujourd’hui les choses ont changé, l’école est reconnue et nous parlons de plus en plus du déménagement, prévu pour 2016 en principe. C’est une nécessité car on explose dans ces lieux. C’est la gymnastique au quotidien. Les machines sont envahissantes et il y a beaucoup de demandes. Par contre, cela ne modifiera pas l’esprit de la maison, nous prendrons toujours le temps de faire les images et d’en parler. Tout comme ce troisième cycle qui a été imaginé et qui fait maintenant partie de l’ordre des choses. C’est une tresse. L’ENSP est un lieu de pratique et de réflexion, par ce biais l’étudiant pourra réfléchir différemment et plus longtemps. Tout comme les débuts de l’école, nous nous retrouvons encore à devoir inventer et imaginer l’enseignement. C’est une bonne chose. Je ne sais pas si je serai toujours là, mais pour le moment, j’y participe. C’est un bel outil. C’est une forme de militantisme de ma part. Nous appartenons au service public et l’école est gratuite. C’est très important à mes yeux.”
Tous les directeurs ont eu un très bons rapports avec les enseignants et inversement. Il y a un esprit à la discussion, au débat. Il n’y a pas de tensions au sein de l’école. Ce qui est commun ici c’est la diversité des pensées et des parcours. J’ai eu d’ailleurs Rémy (Fenzy, actuel directeur de l’ENSP d’Arles) en cours, nous en rions parfois. Il en est de même aujourd’hui lorsque je revoie des étudiants comme Valérie (Jouve), Mathieu (Pernot), Clément (Chéroux, conservateur pour la photographie au Centre Pompidou) ou Christine (Barthe responsable des collections de photographies du musée du quai Branly).
L’ENSP ne fait pas école. Chaque année, 25 singularités en sortent. Et tout autant de parcours. Il n’y a pas de moule. La seule chose que nous demandons est d’être en capacité de fournir une discussion permanente à partir de ses propres images”. Concernant la promotion 2012, il y eu six félicitations et 100% de réussite. Sa diversité est incroyable. J’ai signé un texte dans l’ouvrage qui va être publié sur eux; il s’intitule “Au sortir de la forge”. Maintenant que l’on a travaillé dans la forge, à pétrir durant trois ans ses idées, il faut prendre le risque de se mettre en danger et organiser sa vie professionnelle. Ici, nous aimons cette façon d’enseigner et ce que font nos étudiants. Et nous leur demandons de rester digne en montrant leur travail”.
Wilfrid Estève