En 1967, terminant des études musicales, Arnaud Claass découvre la photographie. Il va alors parcourir les États-Unis jusqu’au milieu des années 1970 avant de s’orienter vers une œuvre personnelle. “L’image photographique non comme réponse, ni même comme question : comme exclamation” déclare t-il en 1996 dans “In Photographies 1968-1995”. Sa photographie de l’errance qui s’inspire de Robert Frank ou de Walker Evans, l’amène à développer la notion de série puis de paysage. A la demande d’Alain Desvergnes il devient, en 1983, professeur. “A l’époque, Alain avait pensé les grands lignes du projet pédagogique mais nous nous sommes rapidement mis d’accord sur le fait qu’il fallait que plusieurs facettes s’associent : l’artistique, le théorique et la technique. Nous étions des pionniers, la photographie n’existait pas dans un contexte pédagogique, une situation tristement française. Du point de vue humain, ce qui nous a réuni c’est notre passé américain. J’ai beaucoup photographié ce pays. Cette culture s’est imprégnée en moi.”
“Comme tout restait à faire en France, nous avons placé la barre le plus haut possible et invité des intervenants prestigieux. Les institutions internationales ont été peu à peu attirées par ce qui se passait dans l’école.” En 1987, les Cahiers de la Photographie consacrent un numéro spécial à Arnaud Claass. Il y évoque l’importance de la culture photographique, de la connaissance de son histoire, tout en dénonçant courageusement les méfaits de certaines affirmations de Barthes. La photographie d’Arnaud Claass investit la publication où l’on découvre “un art du peu”. “Chacun réinvente la photographie pour soi”, une sorte d’éthique du retrait et de la quête minutieuse. “Je me suis nourrit de cette expérience pour aider les étudiants. Au sein de l’école, je les accompagne dans l’élaboration d’un langage propre et d’une transcription de leur vision du monde.”
Ses fondamentaux sont les cours d’histoire de la photographie mais également ceux en histoire de l’art et ses mentalités. “Il s’agit de trouver le moyen adéquat de penser le monde aujourd’hui. On remarque que les étudiants baignent dans les nouvelles technologies. Les digital natives sont passionnés par la particularité de la photographie en tant que moyen d’expression. Ce qui me frappe le plus est la vitalité et la diversité de cette jeune création.”
D’autant que “Tout est possible car les profils sont multiples et éclectiques. Les élèves viennent d’écoles d’art ou de l’université. Nous composons avec des personnes qui vont nourrir soit des problèmes de forme, de fond ou les deux. Le regard que j’ai sur ces trente années démontre que les étudiants qui sortent de l’école occupent aujourd’hui des postes importants. Ce qui est aussi intéressant est l’évolution des métiers ou les passerelles qui peuvent s’instaurer dans nos enseignements. Aujourd’hui la création pousse certains photographes à se glisser vers des profils qui n’existaient pas jusqu’alors. Je pense au webdesign par exemple.”
“Ce que je vois fortement évoluer est la nature des échanges entre les étudiants. Il y a encore dix ans, il se formait des groupes avec des systèmes d’idées imaginées et une certaine philosophie de la photographie. Elle était souvent dogmatique et il nous est arrivé de gérer des conflits. Aujourd’hui la diversité de la création fait en sorte que les élèves se respectent. Et s’entraident ! Ils sont dans l’ouverture et sont conscients de la diversité de la scène photographique. Il savent qu’il n’y a pas de vérité absolue.”
Le festival propose son exposition, “Le livre des traductions”. Arnaud Claass transpose la trivialité du quotidien en un récit fragmentaire et mystérieux. “Photographier en continue consiste à constater le réel des apparences. Nous transcrivons ce réel en celui du réel des images. J’ai cherché à traduire une langue dans une autre.” Arnaud Claass montre quelques images de séries qui ont marqué son parcours, “mais ce n’est pas une rétrospective”. Présentant des inédits, on découvrira notamment des “haïkus photographiques” sous forme d’assemblage d’images. Ce parcours englobe son passage à la couleur. En terme de format, des formats “restreints” sont exposés (du 18×24 au 40×50).
Il vient de publier un livre de réflexion, “Le Réel de la Photographie”. “Je me suis intéressé à plusieurs problématiques. Dont celle du devenir du reportage, sur ce qu’est la beauté en photographie, la représentation de la violence ou encore l’évolution du marché de la photographique.” Arnaud Claass prend acte de la crise de la presse et de l’impact des nouvelles techniques de diffusion. “ Je me suis posé la question sur les conséquences de la présence du reportage de guerre dans les murs du musée, sur un plan politique et idéologique. Que se passe-t-il lorsque la photographie se prend pour la peinture ? Y a-t-il un danger de régression ? Jusqu’où peut-on idéaliser la figure de l’artiste souverain alors que la question du témoignage est centrale.” Après Barthes, Arnaud Claass s’attaque à d’autres batailles.
Wilfrid Estève