Pour rendre hommage à Arlene Gottfried un an après son déces prématuré, PowerHouse réédite en couverture souple le légendaire « Sometimes Overwhelming » de la photographe New Yorkaise – une sélection de photographies de jeunesse, prises dans les années 70 et 80, lorsqu’elle sillonnait sans cesse Brooklyn à la recherche de lieux vivants, de tronches étonnantes, de scènes de rue insolites.
C’est une spontanéité détachée d’ambition qui dessine son parcours, une soif d’observation. Refusant de faire des études, elle a préféré prendre un emploi de bureau pendant la journée et apprendre la photographie en cours du soir. Car cette discipline allait lui permettre de passer son temps dehors, de s’immerger sans retenue dans le flot de ses contemporains.
Hors de la ville, elle capte des scènes fortes dans le grand rassemblement de Woodstock, où elle se rend, en août 1969, comme des dizaines de milliers de jeunes de sa génération, armée d’un nouvel appareil photo que son père lui a offert. Par la suite, elle multiplie les portraits à la plage et dans les clubs. Devenue photo-reporter professionnelle, elle a continué, au cours des quarante-cinq dernières suivantes, à se régaler des scènes pittoresques de la vie newyorkaise, à laquelle elle a consacré plusieurs livres. « Ça m’a pris une vie pour considérer mon travail comme une œuvre », observait-elle sobrement il y a seulement deux ans.
« Sometimes Overwhelming » documente le New York d’avant, quand le souffle de la disco et les prémisses du R n’B faisait vibrer les murs du Xenon et que la communauté homosexuelle y dansait avec une théâtralité provocante qu’elle aimait prendre en photo – fourrures et maquillage dégoulinants, corps aguicheurs, costumes de plumes et de panthère, godes petits et grands, voire géants, rien n’était inapproprié si ce n’est le manque d’audace. La même insouciance régnait dans les rues, de Brooklyn à Soho en passant par Central Park et le Lower East Side. Les extravagances de Riis Beach où les femmes montrent leurs seins, les débuts du Big Apple Circus – où elle retournait chaque année, même s’il avait perdu sa simplicité des premiers temps -, les clubs de Mid-Town (avant que la 42e rue ne devienne la cacophonie visuelle et commerciale d’aujourd’hui), toutes ces images étaient pour Arlene comme « un vers dans une chanson ».
New York, qui était alors une ville au bord de la faillite, avait beau être dure, secouée par l’insécurité, défigurée par les immeubles effondrés, « c’était une époque étrangement plus facile », disait-elle, « moins troublée, et surtout moins terne ».
Certaines de ces photographies précoces sont déjà iconiques, comme celle intitulée « Angel avec une femme à Brighton Beach », de 1976. Comme dans beaucoup des images d’Arlene Gottfried, du contraste assumé se dégage une harmonie ludique. Face à la quasi-nudité d’Angel, dont les bras fermement croisés font ressortir les muscles, la sexagénaire affiche une décontraction évidente, laissant poser son bras fleuri sur le dossier du banc. Ses lunettes sombres laissent deviner des yeux aussi perçants que ceux, noirs et fixés sur l’objectif, d’Angel. Leurs cheveux dessinent au-dessus de leur front une épaisse masse bouclée, crépue par l’air iodé. Ils sont poivre et sel à eux deux, antonymes improvisés comme le culturiste et l’orthodoxe d’une autre image.
Leurs points communs inopinés sont autant de détails qui montrent qu’Arlene Gottfried ne jugeait pas, qu’elle se contentait d’observer et de jouer des coïncidences visuelles. Plus qu’un hommage nostalgique à une époque et à une ville si souvent fantasmée, cet ensemble d’images a des airs de cinéma. Un film dont les acteurs auraient été triés sur le carreau pour leur attitude inébranlable ou leur excentricité loufoque.
Sometimes Overwhelming
Photographies by Arlene Gottfried
Publié par PowerHouse Books
120 pages
35 $
http://www.powerhousebooks.com/books/sometimes-overwhelming-2/