Si on devait le résumer maladroitement, on dirait que le dernier numéro du magazine Aperture est consacré à la représentation des “altersexuels” dans l’histoire de la photographie. Toutefois, le mot “Queer”, son titre et son thème, signifie en anglais “étrange”, “peu commun”, et a souvent été utilisé comme insulte envers les gays, lesbiennes ou transsexuels.
Par ironie et provocation, il fut récupéré et revendiqué par des militants et intellectuels gays, lesbiennes, transsexuels, bisexuels, adeptes du BDSM, fétichistes, travestis, transgenres ou toute personne refusant la catégorisation du genre, de ses sentiments amoureux et de sa sexualité. Ainsi, ce numéro revisite aussi bien la manifestation en photographie de ce terme, intraduisible en français, que tente d’apporter de précieux éléments clarifiant sa définition, si toutefois il peut en avoir une.
Comme à l’habitude, cet opus est d’une grande richesse, tant en terme d’images et de séries, récentes ou plus anciennes, que de rappels historiques, témoignages, ou d’analyses du genre et de son influence. Tout du long, et parce que le thème est complexe, il est question d’interrogations. Et ce même sur la raison d’un tel numéro. En justification dès l’introduction, on nous précise qu’après « les guerres culturelles des années 90 » puis une « atténuation des différences sexuelles », la photographie dite des “altersexuels” semble revenir au goût du jour au vu du nombre d’œuvres d’artistes contemporains qui reviennent sur le sujet. Le premier texte clairvoyant, intitulé Queer Photography? et qui interroge l’existence même d’un genre, est signé de l’auteur Vince Aletti. qui fut au cœur des mouvements gays et des drames du SIDA dans les années 80. On se laisse guider par ses expériences, ses anecdotes et ses références photographiques, pour aboutir sur un constat qui annonce la couleur : « “Queer” est affamé, insatiable. Le mot ne fait référence à aucun look, aucune taille, aucun sexe. “Queer” résiste aux limites et refuse d’être strictement défini. »
En images, l’expression s’affirme avec du cran. Accompagné par d’autres essais de Richard Meyer, Catherine Opie ou Sophie Hackett, l’inventaire photographique rassemble les œuvres de Katy Grannan, David Wojnarovisz, Berenice Abbott, Sam Wagstaff, Hal Fisher et son projet ironique intitulé Gay Semiotics ou encore une récente série de la sud-africaine Zanele Muholi. Parmi les portfolios marquants, citons ceux consacrés aux travaux de Jimmy DeSana, Ren Hang, ou K8 Hardy, aussi différents que complémentaires. Autant d’éclairages et de redécouvertes qui rappelle que le magazine d’Aperture est plus qu’une revue. Presque un ouvrage en soi tous les trois mois. Indispensable.
MAGAZINE
Aperture #218: Queer
Printemps 2015
$ 24.95