Le feu humain
Il n’est pas facile de parler d’un tremblement de terre catastrophique à un enfant de 9 ans. C’est un événement qui frappe de plein fouet la confiance naturelle dans la vie et le monde qui est si forte dans l’enfance. Mais lorsque je suis revenue de mon travail de couverture du tremblement de terre en Turquie en février dernier – en tant que caméraman de Reuters – mon fils ne m’a même pas laissée poser mes bagages. Il m’a serré si fort et si longuement dans ses bras que j’ai su que je ne pourrais pas éviter de lui dire où j’étais allé. Il avait senti que je revenais d’une forme d’abîme. J’ai choisi de le faire avec des photos – je trouvais cela plus facile. Mais pas les photos de mon travail, qui montraient trop de mort, de destruction, de désespoir. Mais plutôt avec une série de photos plus personnelles que j’avais prises, imaginant un jour les utiliser dans un projet à long terme sur la résilience humaine. Il s’agissait de photos d’êtres humains blottis autour d’un feu, devant les ruines de leurs maisons et de leurs vies effondrées. Le feu leur offrait une certaine protection contre le froid de la nuit, mais aussi contre les dangers du désespoir. Lorsque mon fils Marti a vu les photos, il m’a dit : « Papa, on dirait les hommes primitifs qui ont inventé le feu ». Il était allé droit à l’essence de ces images, une essence qui m’échappait encore. C’est ainsi qu’est née cette série, Le feu humain. Elle n’est qu’une réplique de la conversation visuelle que j’ai eue avec mon fils. Les nuits turques que j’ai vues étaient ponctuées de ces feux, avec des humains tremblant autour d’eux. De loin, on aurait dit que la nuit était pleine de lucioles. En y regardant de plus près, comme nos ancêtres, les hommes qui avaient perdu en quelques secondes tout ce que le génie humain et la technologie avaient permis de réaliser et qui les avaient toujours protégés de la puissance indifférente de la nature, s’étaient rabattus sur le feu pour survivre. Et autour de ces feux, à travers la Turquie et la Syrie, leur vie avait déjà repris, ils commençaient à se relever. »Le feu humain » est une conversation que j’ai eue avec mon enfant-fils sur les chocs inévitables de l’existence et sur l’émouvante résilience et le courage de l’être humain.
