Antoine D’Agata à cinquante ans à peine est déjà une légende vivante. La stupéfiante installation « all over » présentée en ce moment au BAL n’obéit pas aux canons de la rétrospective classique, et donne une nouvelle amplitude au travail en montrant l’interconnexion et la tension liant les « images de jour » issues de son travail de reportage ou de commandes avec les « images nocturnes », travail plus personnel de l’artiste. L’accueil enthousiaste du public et l’impressionnante couverture presse qui a salué l’événement sont à l’hauteur de cette relecture du travail fourni tant par l’artiste que par les commissaires de l’exposition : Fanny Escoulen et Bernard Marcadé.
Pour répondre à cette expo-oeuvre, la galerie Les filles du calvaire a choisi de montrer, presque « classiquement », des images iconiques de l’artiste comme elles n’ont finalement jamais été présentées. Des tirages en grand format habitent, hantent la galerie. En écho à la présentation « all over » du BAL, le principe scénographique retenu par Antoine d’Agata pose simplement les images une à une dans l’espace pour mettre en évidence leur sidérante splendeur et leur conférer un véritable statut d’icônes noires. Antoine d’Agata est un artiste qui dérange, il est hors de question que tout le monde puisse adhérer à son travail. Au contraire, celui-ci peut même choquer certains et plonger tout un chacun dans ses propres tréfonds. Artiste écorché et politique, il expose, explose les chairs et déchaine le clair obscur d’une vie à ses limites. Si la galerie Les filles du calvaire adhère pleinement au travail d’Antoine d’Agata, c’est qu’à l’évidence il dépasse la noirceur qu’il dévoile, pour la transfigurer en une œuvre d’art sans équivalence : unique et absolue.
Antoine d’Agata est aujourd’hui un des rares artistes à pousser l’expérience à son paroxysme. Même s’il y a d’autres artistes qui évoquent les ténèbres -on peut évoquer par exemple les images torturées de son amie Nan Goldin et bien sûr l’immense Bacon-, son cri existentiel provient autant de la terreur que de la beauté humaine voire animale qui surgit dans ces quelques images rescapées que l’artiste parvient à capturer. Exégèse vitale qui s’allie au discours politique dans un désir de sabrer l’indifférence : (…) C’est une quête cruelle et sans issue que d’embrasser la violence de la rue, d’en vivre l’expérience dans sa chair : apprendre le langage meurtrier qui dépasse toutes les poésies, traquer l’irruption de la vie, sale et brutale, dans l’ordre des convenances, chercher la vérité fragile des gestes, reconnaitre la solidarité là ou d’autres voient un néant irrémédiable, se laisser submerger par la beauté intolérable des filles, s’enfermer dans la certitude d’une solitude radicale, se mettre à nu, confondu au monde physique qui s’efface dans un glissement, et payer le prix jusqu’au sacrifice (…) Difficile pour qui ne connaît pas le travail de deviner que les corps d’hommes torturés dans les images sont le sien. De fait, Antoine d’Agata ne prend pas des photographies, il est l’image même. Dès lors, comment parler d’un artiste qui paye de sa vie pour créer son œuvre ? Comment évoquer les quinze mille images qu’il a revisitées ces deux dernières années dans un désir de redessiner tout son œuvre. Que dire de la magistrale monographie aux Editions Xavier Barral et de ces deux expositions qui en sont issues ainsi que de son long métrage à venir ? Connu de beaucoup, tant sa personne est accessible, il est pourtant un homme secret et intime. Proche de nombreux artistes, il préfère leur compagnie et celles de quelques personnes qui l’accompagnent aux applaudissements du public. Si Antoine D’Agata s’expose, c’est qu’il a une volonté farouche de dire la souffrance d’une humanité blessée, le lien indissociable de la vie avec la mort, de montrer ces êtres que personne ne veut regarder ni entendre. Car pour lui, seul l’imaginaire dévoile l’impossible réel… Les écrits d’Antoine D’Agata viennent en appui de son œuvre artistique.
Texte fondamental s’il en est, son dernier texte paraît dans la monographie que lui consacre Xavier Barral est à couper le souffle. Impossible de respirer en lisant ces 80 pages sans point. Les mots de d’Agata dévorent, agissent sur la conscience, dénoncent les faux semblants du monde et se muent en un document politique incontournable. Là encore, l’artiste impose un dépassement à l’autre. Qu’il lise ou qu’il regarde, il sera forcé de s’arracher de la norme pour percevoir l’essence artistique de l’œuvre. (…) Le processus exige un sacrifice, action ultime dont le sens ne sera révélé que lorsqu’elle deviendra, par le geste artistique, histoire racontable, récif de flux et de devenirs perpétuels, de démesures, d’excès aveugles, de réalités individuelles, d’exploration des pulsions élémentaires de la nature et de l’humanité, de la tension permanentes entre les forces irréconciliables de la raison et de l’instinct (…)
Christine Ollier
EXPOSITION
Nóia – Antoine d’Agata
Du 15 mars au 27 avril 2013
Galerie des Filles du Calvaire
17 rue des Filles-du-Calvaire
75003 Paris France
Tél. : +33 (0)1 42 74 47 05
[email protected]
Ouvert du mardi au samedi de 11h à 18h30