C’est à propos des choses que nous avons perdu. C’était le lundi après le vendredi d’épouvante. J’avais laissé mes enfants – Emma et Sam – à l’école et pour la première fois de ma vie de mère, je m’inquiétais qu’ils ne soient pas en sécurité là-bas. Je me sentais triste, effrayée, et en colère. Parce que quel endroit est plus sûr dans ma ville ou n’importe où sur la planète qu’une école élémentaire à cinq blocs de la maison ? J’ai passé quelques jours dans un état proche de la dépression, saisie régulièrement de nausées. Et je ressentais beaucoup de culpabilité, parce que je devais toujours réveiller mes enfants, leur préparer leur petit-déjeuner, les aider à faire leurs devoirs. Je devais toujours essayer d’apprécier notre routine quotidienne. Chaque famille avait la sienne, jusqu’à ce que soudainement, elles n’en aient plus. Je me suis rendu compte que c’est ce que nous avons perdu en ce terrible vendredi. Nous sentons tous – la perte de la routine et de la joie, de l’innocence, de l’émerveillement et de la confiance de ces enfants, nos enfants. Même ceux qui ne l’ont pas vécu au premier chef l’ont ressenti. Donc j’ai commencé à prendre des photos – des photos d’enfants à peu près du même âge que ceux de Newtown, des enfants du même âge que les miens. Pour chacun des vingt que j’ai photographiés, j’ai choisi un sentiment qu’un enfant représente juste parce qu’il est enfant. J’ai écrit ces sentiments sur leurs bras, leurs jambes, leurs poitrines, leurs mains. J’ai passé une demi-heure avec chaque enfant, et pas une fois je n’ai prononcé les mots « Newtown » ou « Sandy Hook ». Je leur ai simplement dit que je photographiais des enfants de leur âge et que je voulais écrire sur eux des mots qui symbolisaient l’enfance. C’était ma manière de faire quelque chose de créatif avec toute la négativité et la rage que je ressentais. C’est le dialogue que je voulais avoir avec d’autres parents, des enfants, des professeurs. Ce sont les images que je veux que les politiciens voient au moment de prendre des décisions concernant les lois sur les armes. Cette fois, nous ne pourrons plus retourner à nos routines, et nous nous souviendrons longtemps. Des choses que nous avons perdues.
Anne Kohler
