Comme une sorte d’infini, entre le dessus ou le dessous, entre côté cour ou côté jardin, le lointain est un terme technique désignant le fond du plateau; c’est aussi le centre de tout, le point de convergence du regard du spectateur.
Rouge parce qu’en son temps, pas si lointain, les namurois comme la plupart des européens connaissaient la magie du rouge et de l’or, caractéristiques des théâtres à l’italienne. Jusqu’à sa rénovation, ce théâtre fonctionnait encore avec sa machinerie d’origine, datée de 1868, sans doute l’une des dernières d’Europe encore partiellement en service.
Cette machinerie toute en bois datait de l’époque où les marins venant de la marine à voile se sont convertis dans la machinerie de théâtre car la marine à vapeur s’imposait progressivement.
Lorsque en 1994 j’appris que cette machinerie allait disparaître, j’ai entrepris de la photographier, puis j’étendis mon travail à l’intérieur du théâtre, en me déplaçant partout avec une seule source de lumière diffuse afin de restituer l’atmosphère de ces lieux lorsqu’ils sont déserts, éclairés uniquement par une “servante”, une simple ampoule.
Fasciné par la beauté de ces charpentes, la vétusté des matières, la magie de ces mécanismes faits de fils, de poulies, de cabestans et de chatières étroites comme sur un antique trois mâts, j’ai passé des jours à photographier avec une approche d’auteur. M’inscrivant dans un des courants de la photographie contemporaine dont tout un pan explore et rend compte de l’état de décrépitude de palais ou de bâtiments industriels anciens, j’avais choisi une démarche artistique plutôt que documentaire. Il ne s’agissait pas de faire un inventaire, même si cela ressemble à un état des lieux, mais de restituer la magie, la poésie de ces lieux, de ces mécanismes grâce auxquels la fascination du théâtre peut exister.
En 1994, l’esprit était naturellement tourné vers l’avenir, vers un théâtre rénové, redéployé, conforme aux exigences techniques de l’époque. Mes images sont donc restées en sommeil. Mais aujourd’hui, ces photographies qui ont valeur d’archives ont acquis un autre statut. Elles sont la trace d’une époque qui n’est plus. Toute photographie renvoie automatiquement au passé, est une mémoire, garde une trace, comme ici celle de ces extraordinaires dispositifs que très peu de privilégiés purent voir en son temps. A travers chacune d’elles, c’est la présence des techniciens et du public qui est ici évoquée.