C’est une aventure collective, comme un jeu aux règles strictes qui n’engagent qu’à l’échange et à la collaboration et qui prévoient que les surprises soient obligatoires. Trois photographes, Vincent Catala, Christophe Caudroy et Julien Mignot, une artiste graphique, Camille Rousseau, un écrivain, Tanguy Bizien, se rendent à l’invitation d’un “maître de cérémonies” qui leur assigne un lieu d’intervention dans lequel ils vont, rapidement, créer une représentation, un point de vue, une interprétation faisant dialoguer images, mots, dessin, son.
A l’occasion du quatrième Image Festival de Amman, Charles-Henri Gros, actuel directeur de l’Institut français, a donc convié les acteurs de“Nous N’Irions PAs Si…, autrement résumé par NNIPS, à se rendre à Salt, ancienne capitale de la Jordanie. Pour l’occasion, les complices se sont adjoint la collaboration de Kim Coiffier, jeune designer de mode qui, fruit du hasard des rencontres, a entraîné avec elle le sculpteur jordanien Ahmad Khalifas, sexagénaire au beau visage buriné, qui joue en magicien des grès sableux aux couleurs douces striées de veines ou d’îlots rouges, noirs ou bleus et que l’on trouve à Salt, comme à Petra d’ailleurs.
Chacun travaille avec ses outils, on discute sans cesse, on se confronte, s’affronte pour s’accorder et, au final, un « portrait » possible du lieu se dessine, qui s’adapte au lieu de présentation.
A Amman, le lieu sera double. Dans le mall commercial de Zara Center, non loin de l’exposition du Wall de Koudelka, sous forme de tirages accrochés à cru et d’une projection qui permet aussi d’associer les étudiants jordaniens ayant servi de fixers et participé à l’aventure. Puis, surtout, dans une magnifique maison datant des années trente, prêtée par Majdoline Al-Ghazawi, la si généreuse directrice de la galerie Dar Al-Anda. Espace chargé de temps, aux murs riches de teintes érodées, moisies parfois, ayant vécu, et aux carrelages somptueux allant d’une abstraction géométrique que ne renieraient pas les plus contemporains des designers à une succession de motifs décoratifs souples et variés. C’est là que, du noir et blanc à la couleur, dans des formats à la fois variés et cohérents, sans excès ni démonstration, les instantanés vibrionnants de Julien Mignot dialoguent avec la réflexion de Christophe Caudroy fixant en couleur, à la chambre, paysages et intérieurs. En moyen format et toujours en couleur, Vincent Catala documente sobrement en trouvant élégamment sa distance. Ces photographies questionnent les grands dessins muraux de Camille Rousseau, mine de plomb et encre de Chine grattés à même le mur, matière profonde et sensuelle pour des formes de l’envol. S’y associent les mots, phrases, bribes et, surtout, le son, mixé à Paris à partir des lectures en français et en arabe des textes de Tanguy Bizien. Rythmant l’espace, les sculptures, parfois des pierres à peine retouchées, indiquent un parcours qui associent sensualité et forme, magie de l’équilibre, parfaitement convaincantes parce qu’elles obligent bien à tourner autour d’elles, réinventent les espaces et s’éloignent de toute figuration pour laisser la matière et les teintes vibrer d’émotions.
Au final, malgré l’épuisement de l’équipe, une belle démonstration des capacités collectives du groupe, de la valeur de l’expérience, du laboratoire et du risque. A mille lieues de toutes conventions, comme un grand bol d’air, que l’on aime ou pas le résultat en soi, après tant d’approximations et d’idées reçues sur ce qu’est une « bonne photographie ». Beau sentiment que, toujours, essayer de se mettre en danger est une indispensable nécessité pour que l’essentiel puisse s’exprimer.