Le geste photographique d’Amaury da Cunha crée souvent une atmosphère de trouble. Êtres et choses sont là sans être là vraiment, dirait-on. Face à ses images, est-on certain d’avoir affaire à ce que l’on voit pourtant assez distinctement ? Ce n’est jamais aussi évident que ça en a l’air et nous voilà souvent perturbés, intrigués. Ce n’est pas seulement le parti-pris esthétique qui produit cet effet-là, c’est le fait même, banal, ordinaire, dépourvu de spectaculaire. Une incertitude, ou plutôt un sentiment d’incertitude, se dégage. Toujours, même quand il paraît anecdotique, le sujet photographié est comme entouré de mystère. Les natures mortes, les fragments de paysages même en sont baignées, et plus encore ces corps en sont comme nimbés.
Diffus, infusé, suggéré, il a ici plus que sa part. Ces cadrages et cette mise en lumière pour lesquels le photographe a opté dessinent autour des choses un halo d’étrangeté déstabilisant le regard. Ne pourrait-on pas y voir une forme de réalisme magique ? L’intensité de ses clichés est fonction de cette densité énigmatique qu’ils dégagent. Amaury da Cunha veut-il donc nous dire que l’on ne saurait jamais vraiment prendre la pleine et entière mesure des choses, êtres, paysages ou objets ?
Demeure rend hommage à la multiplicité des sensations provoquées par le réel, la vie. Le corpus d’images dans Demeure est volontairement hétérogène. Il y a cependant des motifs (ou des figures) qui reviennent à partir de ces petites unités de perception. Il a fallu les distribuer harmonieusement. Il ne s’agit pas d’une série d’images, mais plutôt un recueil pour reprendre une terminologie poétique, ou une séquence, si on pense au cinéma qui a influencé involontairement certaines de ces photographies. Sans doute, se pose ici la question du visage. Le visage aimé, le visage qui se révèle, le visage qui s’échappe.
Quant à la dimension autobiographique, elle est sous-jacente, peu centrale, éclatée. Depuis que da Cunha photographie, il utilise sa vie comme un matériau, mais il ne le donne pas à voir comme quelque chose de littéral. Les identités des lieux et des êtres sont flottantes, la temporalité demeure fantomatique. Il pense qu’une photographie n’est jamais conforme à ce qu’elle montre. Comme il le souligne : «Qu’est-ce qu’on apprend réellement de moi dans ces images ? Peu de choses. Des bribes de mystères, peut-être. Sans doute un mélange de peur et de désir. »
Demeure est d’abord un livre, la quatrième monographie photographique d’Amaury da Cunha réunissant 47 images, mêlant couleur et noir et blanc, prises au cours des 18 dernières années.
Pour tenter d’élucider le secret des ses photographies, Amaury da Cunha a confié le soin à Sylvie Gracia d’y associer des mots, en toute discrétion. Dans l’ouvrage tous les textes sont glissés à l’intérieur de plis japonais, c’est-à-dire entre des pages n’ayant pas été découpées lors de la fabrication du livre. La lecture est ainsi entravée et invite le lecteur à manipuler l’ouvrage d’une manière inaccoutumée.
Cette exposition est une mise au mur d’un extrait de ce livre, associant textes et images et soulignant la double démarche de cet auteur, littéraire et visuelle.
Amaury da Cunha – Demeure
du 12 septembre au 3 novembre 2019
Le Château d’Eau
1 Place Laganne
31300 Toulouse