« La Yougoslavie avait eu son temps de paix et l’homme fit basculer
l’histoire, selon sa tradition, égal à lui-même. Le reste du monde s’étonna de tant d’atrocités. Présidents, chefs de guerre, soldats et pilleurs s’acharnèrent à imposer leurs lois alors que le pays sombrait dans une guerre cruelle et peut-être même banale. Le modernisme et le progrès, le souvenir encore présent de la Deuxième Guerre Mondiale, rien n’y faisait. L’humanité devait sans doute se résigner face à sa condition.En tant que photographe, je fus le témoin des événements qui secouèrent l’ex-Yougoslavie. Mon étonnement et ma curiosité redoublaient à chaque voyage : c’était donc ça la guerre ? J’étais fascinée.
Puis le conflit s’épuisa et les Serbes rendirent leurs territoires aux
Bosniaques, crachant une dernière fois leur haine en pratiquant la
politique de la terre brûlée. Mirna, la musulmane, pu enfin retourner chez elle. De sa maison, il ne restait que les murs et, en observant le sol jonché de papiers et de verre cassé, elle découvrit que l’un des Serbes qui avait occupé les lieux avait méticuleusement effacé, en grattant avec une lame de rasoir, les quatre visages d’une photo de famille prise avant la guerre, sur laquelle elle figurait aux côtés de ses parents et de son frère.
Entre deux voyages en Bosnie, j’eus l’occasion de prendre quelques jours de repos en Égypte. À ma grande stupéfaction, je me retrouvais sur un autre champ de bataille, mais j’arrivais 2000 ans après le drame. Les ruines étaient sublimes et cette fois, ma fascination fut sans scrupule. Les paysages façonnés par la nature et les archéologues n’avaient plus rien de triste. Le monde des Égyptiens reposait en paix, digne et beau. Des hommes immenses au corps de pierre, blessés et démembrés, trônaient là, tout puissants, défigurés, et d’autres allongés gisaient inanimés surle sable, leurs tombes avaient été profanées et leurs temples pillés. Envoyant les centaines de kilomètres carrés de hiéroglyphes martelés eteffacés par des soldats ennemis engagés dans une lutte sans merci contre la vérité, la photo de famille de Mirna réapparut comme un éclairdansma mémoire. J’étais alors décidée à repartir le long du Nil pour y compléter mon travail. »
Alexandra Boulat
16 novembre – 15 décembre 2010
Cosmos Galerie
56 bd Latour-Maubourg, 75007 Paris