Il aura fallu un peu d’attente, depuis sa magnifique série The Adventures of Guille & Belinda (Les Aventures de Guille & Belinda, 2009), pour que la photographe Alessandra Sanguinetti refasse réellement surface. Cette fois-ci, la talentueuse Argentine sort du cocon intime de ses histoires de famille et pose son regard sur des êtres dont elle connaît moins les sentiments. Ils sont français et représentent une France moderne, loin du cliché de ses traditions amplement exploitées. Ils vivent à Calais, près du quotidien des aspirants à l’Angleterre, à Marseille, cité antique, chaude et multiculturelle, ou dans les campagnes de l’hexagone, dans un univers qu’apprécie bien Alessandra Sanguinetti. Aussi, arabes, noirs, blancs, jaunes, jeunes ou vieux, musulmans ou chrétiens, ils représentent une France de la richesse sociale, faite aussi de contrastes croissants entre les communautés rurales isolées et les villes plus cosmopolites, ou d’autres problématiques contemporaines. Un grand portrait à voir en ce moment à la Fondation Aperture à New York et qui tombe à point nommé en période électorale.
Mais là n’est certainement pas son propos. Malgré sa filiation à l’une des plus grandes agences de photojournalisme, Alessandra Sanguinetti est apolitique et “adocumentaire”. C’est une flâneuse, une fantaisiste et une amoureuse de théâtre. « Alors que je me promenais dans les campagnes, de villes en villes », raconte-t-elle, « j’ai eu le sentiment d’être dans un théâtre en mouvement, recueillant un aperçu du mystère de tous ces gens que l’on rencontre brièvement ou qui passent. De petites révélations suivies du rideau qui descend au début de l’acte suivant ».
Ainsi la série offre-t-elle un voyage intuitif et lyrique sur ces routes, au gré d’immeubles construits dans les années 70, de jeux de boules, de promenades sur les rochers bordant la Méditerranée, de champs de blé, de fermes typiques, de courses hippiques, et de tous ces personnages que la photographe a capturés à la manière des tendances actuelles du genre. Cette comédie est un peu plus prudente que celle qu’elle avait l’habitude de nous jouer. Moins de joies ou de larmes. Davantage de distance. Celle de la commande sans doute. Celle de l’objet, omniprésent, aussi. Mais une honnêteté certaine, visible dans chaque regard, et révélée dans des moments touchants de la vie de tous les jours, si chers à la photographe.
En préface du livre associé, l’auteure Susan Bright écrit ainsi : « “Infra-ordinaire”. Ce terme tiré d’un texte des années soixante-dix de l’écrivain expérimental Georges Perec appelle à s’intéresser à tout ce qui n’est ni ordinaire ni extraordinaire. Il vise à réévaluer ce qui est significatif et ce qui ne l’est pas. Ce que fait Alessandra Sanguinetti dans Le Gendarme sur la Colline. Une transformation s’opère dans ce travail : elle rassemble une série de fragments et de détails provenant de différentes existences pour nous montrer que ce n’est pas dans les gros titres de la presse que l’on trouve ce qui peut être historique, significatif et révélateur, mais bien dans les choses du quotidien. L’infra-ordinaire devient l’acteur principal de chaque scène. L’essentiel réside dans sa manière d’injecter dans ce quotidien des éléments de contes de fées et du théâtre – deux techniques traditionnelles de narration. En saisissant les possibilités offertes par la magie et la promesse de performance, elle s’empare de vies et de paysages français familiers pour les transformer en cadrages remarquables, et même exotiques, souvent teintés de fantaisie, tout en évitant le grotesque ou le jugement. Il en résulte une lecture des possibilités augmentées des petites choses du quotidien ».
Jonas Cuénin
Alessandra Sanguinetti, Le Gendarme sur la Colline
Exposition présentée par Fondation d’entreprise Hermès et Fondation Aperture
Du 27 avril au 29 juin 2017
Aperture Gallery
547 West 27th Street, 4th Floor
New York, N.Y. 10001
USA
