L’institution berlinoise offre un regard singulier sur Berlin et l’Allemagne : des photographies de paysages réalisées entre 1966 et 2023 par le photographe allemand Michael Ruetz qui aura dédié sa vie à capturer les effets du temps sur l’horizon.
Michael Ruetz (Berlin, 1940) s’est fait, par sa pratique, le témoin des mutations urbaines et sociales d’une Allemagne malmenée par l’Histoire et d’une ville, Berlin, dont l’identité s’est façonnée au regard de la réunification. Un travail d’archives – que l’on pourrait qualifier d’intérêt général – s’étendant sur sept décennies et composé de près de 600 séries, chacune composée de milliers d’images. Des Timescapes qui résonnent avec les crises sociales et environnementales intrinsèques aux changements d’époques.
Une aventure millimétrée
Armé de son trépied, Michael Ruetz arpente les paysages naturels et urbains, lance son dévolu sur un point de vue duquel il reproduira à une ou plusieurs années d’intervalle la même prise. Bien que le photographe s’attache à marquer avec précision le lieu, le temps a bien souvent raison du repère, alors retiré ou recouvert. Et quand bien même ce dernier aurait survécu à un développement urbain quelquefois effréné, il faudra à Michael Ruetz retrouver la hauteur et l’inclinaison, de sorte à reproduire le même cadrage, au millimètre près. Seules la date et l’heure doivent différer. Rien qu’à Berlin et ses alentours, le photographe a travaillé à partir de 180 points d’observations.
De nouveaux axes visuels
Il est quelquefois difficile, d’une photographie à l’autre, de reconnaître le lieu de la prise. À Alexanderufer dans le quartier de Mitte, la verdure et les tracteurs de 1995 ont laissé place en 25 ans à un paysage minéral, composé de goudron et d’immeubles vitrés. Les constructions faisant, la mythique Fernsehturm (tour de télévision) n’est alors plus visible. La célèbre Potsdamer Platz a fait l’objet, elle aussi, d’une véritable métamorphose depuis la chute du mur de Berlin à nos jours. Dans un autre registre – certains s’en souviendront peut-être quand d’autres le découvriront, le quartier de Friedrichshain a dans les années 2000 accueilli un plage artificielle qui ne sera déjà plus qu’une friche en 2007. Grues, tags et vies humaines ont, au fil du temps, intégrés le paysage. Les saisons, les voitures et l’architecture deviennent des marqueurs précieux pour tenter de situer ces images.
Un artisan du temps
L’Akademie der Künste consacre tout un espace aux innombrables classeurs d’archives et aux boîtiers utilisés par Michael Ruetz. On y découvre alors une technique d’archivage pointilleuse, chaque Timescape détenant sa propre fiche technique. Alternativement et selon son sujet, Michael Ruetz utilise, parmi d’autres, des Linhof Technorama 612 et 617 ou encore un Nikon f2 avec lequel il documente notamment dans une fresque jouant avec la lumière la construction du nouveau bâtiment du musée historique allemand, avant d’opter pour un réflex Canon de la gamme EOS.
Lorsque l’on déambule dans les rues de la capitale allemande, certains ressentiront le poids des événements historiques, ce passé à la fois tragique et lourd à porter, hantant le présent. Finalement, tout cela est une question de temps, le temps panse les plaies, le temps transforme. C’est ce temps, insaisissable par nature, que parviennent subtilement à capter les photographies de Michael Ruetz qui sont le résultat d’un travail de patience et de dévouement à l’écriture de l’histoire allemande.
Noémie de Bellaigue
“Poésie du temps. Michael Ruetz – Timescapes 1966–2023” est à découvrir à l’Akademie der Künste jusqu’au 4 août 2024.
Akademie der Künste
Pariser Platz 4
10117 Berlin-Mitte, Allemagne
https://www.adk.de/