Jour 5
Ce matin là il fait froid, et gris. Dans un dinner sur Madison Avenue, je tente de me réchauffer avec un Earl Grey imbuvable tellement il est chaud. Tant pis, je le boirai chez Tom Gitterman qui me reçoit ce matin – je devrai peut être l’appeler pour savoir s’il veut un café – bouillant.
Des mon arrivée, Tom me fait visiter son exposition du moment : One Tree de Machiel Botman – une magnifique série noir et blanc en double exposition et – détail qui me plait particulièrement – sans queue ni tête. Juste des photos les unes à côté des autres, pas de série, pas vraiment de cohésion à part le style.
J’adore.
J’ai même très envie de décrocher Julia ou les Water Trees…
Et oui, c’est la dans la galerie de Tom que je me rends compte que ce projet de portraits est entrain de devenir aussi le début de la quête de mon premier achat photographique… Merveilleuse aventure.
La discussion prend vite et bien, on s’installe au premier étage, dans la magnifique pièce en brique et bois qui était sa chambre quand il habitait encore là. Il dit que la galerie va bientôt déménager, je me désole, il me rappelle dans un sourire que l’histoire bouge, change, se renouvelle sans cesse. Son premier tirage acheté était un Witkin, et comme le photographe, Tom a la certitude que rien ne s’invente, que tout est recréation, réinterprétation – que c’est la voix de l’artiste seule qui fait la différence. Il ajoute que chaque œuvre d’art quel que soit le medium est une partie d’une discussion plus large à laquelle chacun apporte sa contribution. Il aime repérer dans ce tourbillon les artistes qui selon lui feront avancer l’histoire.
Tom est prof, ca se voit, ca se sent et c’est délicieux.
Parmi les anecdotes que Tom me raconte, j’en garde une en particulier: sa découverte du boulot de Saul Leiter au détour d’un carton pendant ses années chez Howard Greenberg. Il dit que la collection était infinie et qu’il restait la nuit pour découvrir tout ce que renfermaient les boites fermées… Vibrant souvenir d’un certain mardi où avec l’aide d’un de mes amis gardien, je me glissais dans le Musée du Louvre fermé pour en explorer les réserves…
Une heure plus tard je suis sur le trottoir, mon thé est vraiment froid maintenant. Tant pis, tant mieux.
Merci Tom
De la découverte de la photo à l’ouverture de sa galerie…
Tom me raconte ses débuts difficiles – mauvais collégien, mauvais lycéen – son entrée in extremis en histoire de l’art à l’université.
Il me raconte surtout son parcours photographique à travers les images qu’il a achetées à différente période de sa vie :
La première : Lysa Lyon as Hercules par Joel Peter Witkin – achetée à Peter Mc gill alors qu’il est stagiaire pour lui. Il s’agit d’une silhouette sans tête et sans bras – comme une statue classique enroulée étrangement dans une sorte de tissu mouillé.
Puis, au début des années 90, alors qu’il travaille chez Zabriskie Gallery, quelques images que virginia lui a données en guise d’augmentation. Il les a encore, et notamment un portrait de Rodin en surexposition sur le penseur, pris par Steichen.
De cette période. Il dit avoir acheté une images du projet « la mort des statues » (photographies de statues fondues pendant la guerre pour êtres transformées boulets de canon), collaboration entre Pierre Jahan et Jean Cocteau.
En 1995 il entre chez Howard Greenberg pour une période de 8 ans. De ces annees, il garde beaucoup d’images, dont un Saul Leiter et un Dave Heath.
Les évènements de 9/11 lui insufflent l’énergie d’aller de l’avant et de faire ce dont il a envie depuis longtemps : se lancer en solo.
Il ouvre Gitterman Gallery en 2003
Une photo qui a une importance particulière pour lui…
Vengeful Sister par Dave Heath – une image faisant partie d’une série publiée en 1962 dans un livre intitulé The Dialogue with Solitude.
Au moment ou il l’a achetée, il dit que c’était l’image la plus chère qu’il ait regardée. Il confie que l’achat a été douloureux mais qu’il ne l’a jamais regretté.
Son meilleur souvenir de galeriste…
Son pire souvenir de galeriste…
Tom raconte le soir du vernissage de sa première exposition comme le meilleur et le pire souvenir de sa vie de galeriste.
Il raconte que malgré treize années passées dans l’industrie, il n’avait absolument aucune certitude sur qui se présenterait ce soir là.
En deux heures, l’endroit était bourré à craquer ce qui – dit il – le terrifia encore plus!
Sur le mur de sa chambre…
Vengeful sister entre autres.
Tom raconte que lors de leur emménagement, sa femme l’avait d’abord mise de côté en préférant mettre au mur d’autres images de la collection de Tom. Il a alors du lui expliquer que cette photo était indispensable à sa vie. Il ajoute que sa femme adore la photo maintenant.
Si il était un(e) photographe connu(e)…
Tom a du mal à se décider mais penche vers les photographes proches de l’école de Barbizon à Fontainbleau, France – ceux qui ont choisi la Nature comme sujet et non comme décor – comme Eugène Cuvelier.
Il s’imagine les pas de Watkins au parc naturel de Yosemite en 1861 – l’expérience artistique mais surtout spirituelle qu’a dut être ce voyage.
Si il n’était pas galeriste, que ferait-il…
Il crapahuterait sac au dos dans quelque part dans la nature.