Jour 2
Ce matin, c’est la fête – pour une fois, je fais plus attention à mon mascara et à mon chapeau qu’à mon matériel photo.
Ce matin c’est la fête, je vais à la rencontre des deux Grandes Dames de la photographie de mode: Taki Wise et Etheleen Staley.
Quand j’arrive, l’ambiance est studieuse, Etheleen travaille, Taki n’est pas là – on me demande de patienter. Je me pose dans un coin, par hasard devant Barbara Mullen aboard Le Bateau Mouche prise par Lilian Bassman pour une campagne Chanel en 1960.
Aucun souci, je peux patienter. Longtemps s’il faut.
Si j’avais su que Lillian Bassman mourrait quelques semaines plus tard, je serai restée là toute l’après-midi.
Soudain Taki entre, et me pose dans les mains un classeur où sont regroupées toutes les invitations de StaleyWise Galery depuis 27 ans – Fantastique trésor que je feuillette dans l’espoir de retrouver la première de toutes les invitations – Horst, Light and shadows 1981. C’est cette image que je choisis de mettre en duo avec le portrait des deux dames.
Je suis assise dans une chaise lune en velours vert, Taki est debout à ma gauche et Etheleen, assise à ma droite. La joute verbale commence, l’une raconte un souvenir que l’autre complète, l’autre trouve les mots qui manquent à la première et trente-cinq ans de mode internationale défilent devant mes yeux…
Une découverte : Taki me raconte la valeur qu’a pris le papier photographique en mourant. Elle explique qu’à l’époque, l’image et la qualité du tirage seuls importaient. Personne n’imaginait alors que la production de papier photographique pourrait être interrompue. Elle ajoute que dans cette logique, certains photographes ont imprimé des dizaines de version de la même image, sans forcément les numéroter – ce qui explique pourquoi il est si difficile d’estimer avec précision l’état actuel du marché d’une certaine période dans l’histoire de la photographie.
Un moment vraiment drôle : au moment de la prise de vue, Taki m’avoue que se faire photographier est un de ses pires cauchemars. Je la rassure, la noie de paroles, me dépêche, mais quelque chose cloche. Je me retourne pour m’apercevoir que l’équipe de la galerie au grand complet est regroupée derrière moi, pour assister à ce moment unique. Fou rire général.
Une douceur comme le chocolat à la fin du repas: pendant que je range mon matériel, Taki et Etheleen se rapprochent et se remettent à feuilleter le classeur aux trésors. Elles chuchotent, elles s’exclament, elles rigolent surtout – Discrètement, je me faufile tout près d’elles pour sentir encore l’odeur de ces années-là et récolter quelques secrets au passage… que je garde pour moi.
Quand je monte dans le taxi j’ai un sourire indécrochable, un gros torticolis, et le cœur léger aussi.
Glamour, check.
Merci Taki et Etheleen
Leur début?
Elle se rencontrent à l’agence de publicité : Grey Agency.
A l’époque les ex-photographes de Magnum Mary Ellen mark, Joan Liftin, Charles Harbutt et Abygail Haymon fondent leur propre agence Archive dans un local sur Wooster street et proposent une partie de leur espace a Taki et Etheleen qui y organisent leur première exposition: Horst, Shadow and Light.
Dans les années qui ont suivi, elles ont été fidèle à leur premier instinct et à leur envie commune: le choix radical, et controversé à l’époque, d’intégrer la photo de mode dans le monde de la photo d’art.
Leur propos dans le débat est toujours resté simple; la photo de mode est d’abord une image commerciale mais peut, comme toutes les autres images, etre élevée au rang d’oeuvre d’art.
Elles ont commencé par aller trouver les photographes de mode méprisés de l’époque, pour leur proposer une représentation ou une exposition. Depuis trente ans, les plus grands noms brillent sur leurs cartons d’invitation: Baronde Meyr, Erwin Blummenfield, Loise Dahl-Wolfe, George Hoyningen-Huene, Horst, Lartigue, Helmut Newton, Man Ray, Steichen, mais aussi David La Chapelle, Patrick Demarchellier et Michael Dweck.
Elles insitent toutes les deux sur un personnage important de leur parcours: Dan Wise, le mari de Taki, qui en les soutenant tout au long de la route, leur a permis de construire une identité propre et de devenir ce qu’elle sont aujourd’hui.
Leur meilleur souvenir de galeriste…
Etheleen raconte qu’elle ne se souvient pas d’une chose unique mais surtout du merveilleux voyage au fil des années.
Taki me raconte leur premier vernissage a Wooster street: Un grand tirage du nom de l’artiste et une série de tirages 11×14 (27×35 cm) réalisés précautionneusement pour l’occasion. Dans les circonstances de l’époque, il n’y avait aucune certitude de la tournure que prendrait l’évènement. Elle raconte qu’il y avait au moins 400 personnes ce soir-là, toute l’industrie était présente, Irvin et Lisa Penn compris. Elle rit au souvenir du porte-manteau s’écroulant et déversant une vague de manteaux au milieu de la fête.
Etheleen ajoute que ce succès était vraiment inattendu – elles ont fait la couverture du Art and Leisure et du Sunday Times de cette semaine-là.
Leur pire souvenir de galeriste…
Au moment de l’exposition de Herb Ritts vers 1985.
Elles racontent qu’il était si connu qu’elle avaient préféré organiser 2 réceptions, et donc partager leur liste d’invités en deux – ce qui n’avait pas manque de créer un tas d’histoires. Le deuxième soir de réception, peu de gens se montrent et elles se rendent compte avec horreur que la parade d’Haloween défile devant leur immeuble sur Broadway et qu’il est donc quasi impossible d’accéder à l’exposition.
Sur le mur de sa chambre…
Etheleen et son mari sont collectionneurs d’œuvre préraphaélite, elle n’a donc pas de photographie chez elle et dit n’en avoir jamais acheté. Elle se reprend, il y a bien un Cartier-Bresson dans sa cuisine et un Herb Ritts dans le bureau de son mari. Les autres sont dans des boîtes, mais elle insiste: elle a bien l’intention de leur trouver une place sur son mur!
Taki vit avec des images de Lartigue, Herb Ritts, Kertesz. Dans sa chambre il y a des dessins et une photo prise lors d’un voyage au Cambodge.
Dans sa salle de bain une photo par Erwin Blumenfeld.
Si elle était un(e) photographe connu(e)…
Etheleen un photographe “sexy” et qui a eu une belle vie, elle choisit Avedon.
Taki met longtemps a se décider et finit par choisir Lartigue