Jour 2
« Bonjour, mon nom est Stéphanie, je suis la photographe qui vient rencontrer Adam, Je suis un peu en retard, vraiment désolée… »
« Pas de problème Stéphanie, Adam est ici et puis il est 3 ;53 donc techniquement vous n’êtes pas encore en retard ☺. A tout de suite ! »
7 minutes pour me détacher de l’histoire que je viens d’entendre.
7 minutes pour oublier les questions, l’envie d’en savoir plus, les charmants fantômes du temps d’avant qui sont montés avec moi dans le taxi.
7 minutes pour me rappeler où je vais – Ubu Galery.
7 minutes pour me remettre les idées en place – Adam Boxer, galeriste multi média, amoureux des années folles. Ses expos d’avant-garde, toujours surprenantes, souvent surréalistes dont celle du moment, l’improbable The Love Life of the Spumifers par Georges Hugnet (une série de photos noir et blanc de femmes dénudées sur lesquelles l’artiste a dessiné des bestioles colorées hilarantes). Franchement pour exposer un projet pareil, cet homme a forcément de l’humour. Ca risque d’être sympa.
J’avais raison, l’entretien a été passionnant, drôle et bien plus long que prévu. Un peu fou aussi. Surtout la dernière demi-heure pendant laquelle les éléments ont semblé prendre leur liberté sans que nous puissions rien y faire.
Nous avions fini l’interview, j’avais fait quelques portraits d’Adam et je m’apprêtais à prendre un cliché des tirages qu’il m’avait amenés.
Là, un de ses amis entre et se met à visiter l’exposition en prenant garde semble–t il à passer un peu de temps avec chaque Spumifer. Il s’esclaffe de temps en temps de l’effronterie magnifique de ces drôles de bestioles. Derrière mon objectif, j’essaie de contrôler le fou-rire qui monte. Puis comme par magie, le compositeur Rormer, ami de Hugnet apparait pour visiter l’expo. Surréaliste vous avez dit ?
A son départ, Adam sort le livre écrit par Hugnet sur les origines et le caractère de chacun de ses Spumifers. L’ami et moi choisissons Le Purlaine Orgueilleux [« The Conceited Woolleton »] – et Adam nous régale en déclamant entre 2 pouffements de rire le portrait peu glorieux et les petites habitudes mesquines du Spumifer connu comme étant le plus ressemblant à l’Homme.
J’en ai encore les mandibules douloureuses.
Merci Adam
D’une galerie a l’autre…
En 1984, Adam Boxer, Jack Banning et Rosa Esman ouvrent Ubu sur la 78ème rue entre Madison et 5ème avenue. A l’époque, il est le “petit jeune” du trio.
Ils se specialisent dans la représentation d’artistes d’avant-garde. Ubu est vite connu pour ses expositions ciblées particulièrement sur les mouvements dada, surréalistes et constructivistes.
Rosa quitte le trio à la fin des années 90
En 2002, Adam et Jack sont contraints de vendre leur bail et en profitent pour continuer chacun sa route.
Adam décide de reprendre la galerie et de se lancer en solo.
L’histoire des fameuses « Ubu edition »…
Pour leur deuxième exposition The Box from Duchamps to Horn en 1994, le trio d’Ubu a envoyé une invitation clin d’œil en forme de boîte.
Plus tard, lors de ses voyages à l’étranger, Adam dit avoir vu ces boîtes sur les bureaux ou bibliothèques de ses clients et collectionneurs. Pour sa quatrième exposition, Signed posters + Mutliples sur le travail de Joseph Beuys – il envoie des cartes postales en tissu en guise d’invitation. Là encore, c’est un succès.
A chaque exposition, le trio s’acharne donc à créer une annonce unique ce sont les « Ubu edition ». Comme précise Adam, le challenge n’est pas si simple : Il faut que chaque invitation soit d’une taille modérée, légère et plutôt plate pour être envoyée facilement et à moindre frais par la poste.
Adam raconte que ces « Ubu edition » sont l’objet de collections.
Depuis peu, une plume orange de Spumifer trône sur mon bureau. Allez savoir où je l’ai récupérée…
Son meilleur souvenir de galeriste…
Un de ses meilleurs souvenirs est lié à la création de l‘invitation pour l’exposition Drawings from « Franklin Summer » and Blood Objects from « Family Album » de Yoko Ono. Elle avait recréé une série d’objets de tous les jours en y ajoutant des coulées de sang, discrètes mais bien réelles. L’équipe de Ubu a donc décidé d’envoyer une invitation “sanglante”. Ils en ont parlé à Yoko et se sont mis d’accord sur l’idée de la clé qu’on utilise pour rentrer chez soi et qui ressort de la serrure dégoulinante de sang.
Ils ont acheté trios mille clés, de la peinture à métal rouge et se sont installés dans le jardin de la galerie pour tremper les clés une à une. Adam ajoute en riant que devant l’ampleur de la tâche, ils ont vite changé de méthode et utilisé des plaques de polystyrène dans lesquelles ils plantaient des dizaines de clés pour ensuite les plonger d’un coup dans le bain de sang!
Ils ont ensuite empaqueté les clés dans des petits sacs transparents – telles des pièces à conviction – assortis dune étiquette « cet objet a été fait par Yoko Ono ».
Il a vu récemment certaines de ces clés se vendre sur eBay.
Un autre bon souvenir en forme de regret…
A travers les amis de Rosa, le trio a rencontré l’agent de Yoko Ono et on fait deux expositions de son travail. A l’époque, la galerie était située à côté de Central Park. Yoko passait donc souvent avec un kilo de chocolat de la Maison du Chocolat.
Adam se souvient avec nostalgie de ces moments uniques. Il explique que depuis que la galerie a déménagé, ce genre de chose n’arrive plus.
Son pire souvenir de galeriste…
Quand en 2002 le propriétaire des murs d’Ubu a mis l’immeuble en vente. Le bail de la galerie était encore valable pour trois ans. Adam et son associé voulaient rester mais y ont renoncé quand ils ont compris que l’immeuble allait subir de lourds travaux et notamment la construction d’un ascenseur au milieu de leur espace.
Sa première photo achetée à titre personnel ou une photo qui a une importance particulière pour lui…
A tenir au frais par Hans Bellmer. Adam L’appelle “UnicaBell” pour célébrer ce travail de création né d’un complicité peu commune entre Hans Bell et sa compagne Unica Zürn; et peut-etre aussi parce que le titre est imprononcable pour un non-francophone?
Sur le mur de sa chambre…
Untitled par David Hare. Ce tirage a été obtenu par la technique du « brûlage »qui consiste simplement à ramollir l’emulsion en la chauffant. David Hare et son ami Raoul Ubac ont mis au point cette technique qu’ils aimaient particulièrement pour ce qu’ils appellent le “divin hasard”; l’aléatoire, la surprise…
David Hare était surtout connu pour ses sculptures. Il etait aussi éditeur de VVV Magazine. Ce tirage est tiré du Portfolio VVV
Si il était un(e) photographe connu(e)…
Probablement Bellmer. Pas pour sa vie, mais pour sa liberté de parole. Il aime la façon qu’a l’artiste d’exprimer son désir en public à une époque où ca ne se fait pas, ses essais consistants pour rendre le tabou accessible.