1983-1993, dix années durant lesquelles l’artiste chinois Ai Weiwei a vécu, étudié, travaillé à New York et pris plus de 10 000 photographies de son quotidien. Son regard a capturé l’histoire, la culture et l’atmosphère et la ville où s’entremêlent liberté de création, conflits sociaux et tournants politiques dans les années 1980. Il ne s’agit cependant pas tant pour l’artiste de critiquer des faits ou de revendiquer des opinions, que d’enregistrer la vie qu’il est en train de vivre.
A la question « Do you ever think of yourself as a documentarian? », il répond « No, because that would be working within a system. I am much more casual, it’s wandering here and there, like my cats » .
Plus de 220 photographies noir et blanc sont présentées au Martin-Gropius-Bau à Berlin. L’exposition a ouvert ses portes à l’automne 2011, après avoir été montrée à New York et en premier lieu à Pékin au Three Shadows Photography Art Center. Ce sont les artistes RongRong (Chine) et Inri (Japon), tous deux fondateurs et directeurs du Three Shadows Photography Art Center qui ont lancé le grand projet d’archivage et d’exposition de ces photographies d’Ai Weiwei. L’artiste, ici aussi commissaire, a ainsi réalisé une sélection d’images parmi les 350 films qu’il avait conservés depuis presque vingt ans.
A New York, Ai Weiwei photographie son intimité et celle de ses amis – artistes, poètes, écrivains – souvent venus comme lui y séjourner pour fuir un temps la répression de leur pays d’origine, la Chine. Des personnalités comme Allen Ginsberg ou Robert Frank font aussi partie de ses proches. Nous les rencontrons lisant ou travaillant dans leurs espaces de vie, dans la rue, au restaurant, ou de façon plus anecdotique dans une laverie automatique. Les détails de leurs quotidiens exposés nous montrent leurs univers de travail, entre d’introspection et ouverture nécessaire vers le monde extérieur.
Certains clichés témoignent aussi des inspirations artistiques marquantes pour la carrière d’Ai Weiwei. Ce sont les œuvres de Marcel Duchamp ou d’Andy Warhol photographiées au MoMA par exemple, avec parfois la présence d’un autoportrait du photographe en filigrane.
L’histoire et la culture de la ville dans les années 1980 apparaissent au travers des performances de rue, des scènes de vie dans les clubs ou dans les parcs. Ai Weiwei photographie notamment Tompkins Square Park, parc situé dans l’East Village qui abrita une population importante de marginaux dans les années 1970-80 qui furent évacués suite à de violentes confrontations avec la police en 1988.
Il s’agit donc de New York et ses artistes, bien sûr, mais aussi surtout de New York et ses acteurs. A travers ses déambulations citadines, Ai Weiwei est à la fois spectateur et acteur de la vie sociale et politique de la ville. De nombreux clichés pris dans la rue sont centrés sur ses habitants sans abris, ses manifestants, ses « outsiders », comme les personnes atteintes de la maladie du SIDA que l’on voit faire la manche ou manifester pour revendiquer leurs droits.
Cet ensemble d’images témoigne ainsi d’une époque et des crises qui l’habitent. Lors des manifestations, Ai Weiwei photographie non seulement les cortèges et les slogans, mais aussi la présence de la police et ses actes parfois violents envers les manifestants.
Certaines de ces photographies ont été publiées. Sans envisager une collaboration régulière avec la presse, Ai Weiwei contacte cependant plusieurs journaux afin de proposer certains clichés pouvant par leur publication faire office de témoignage. Il collabore ainsi avec le New York Times, le Daily News et le New York Post, parmi d’autres. Sa position d’artiste citoyen et non de journaliste est un avantage. Il est en effet témoin lors de ces événements publics de violences policières qui n’avaient pas lieu en présence des médias. Quelques temps plus tard, Ai Weiwei fut cependant identifié par la police et victime d’actes d’intimidation.
L’ensemble des photographies exposées nous parle tout autant des détails de l’intimité que d’une certaine étendue de l’actualité et il est intéressant de le voir dans sa globalité. L’accrochage strictement linéaire et condensé des cadres accentue ce sentiment de continuité.
« I think the total process can be seen as one piece of work. (…) I don’t think there’s much of a difference between photography and video. Video is a sequence. It’s a continuity of photos in 25 frames or lines in a second. »1
Il s’agit d’accumulation des images, de répétition des sujets, d’ennui peut être aussi, comme le formule lui-même Ai Weiwei lorsqu’il décrit son quotidien de l’époque. Nous voici au beau milieu d’une séquence, d’une succession dense et rythmée d’événements de la vie.
« I just took the photographs as record. I almost never looked at it. Nothing to look at. It’s your real life ».1
Eva Gravayat
Ai Weiwei est né en 1957 à Pékin.
Artiste conceptuel (sculpture, installation, performance, photographie), commissaire d’exposition et architecte parmi les plus importants de la scène contemporaine chinoise et mondialement reconnu. Il est arrêté en avril 2011, par la police à l’aéroport de Pékin et détenu pendant 80 jours jusqu’à l’annonce de sa libération sous caution. Il vit depuis dans son studio à Pékin sans autorisation de quitter la ville ni de communiquer avec la presse.
Ai Weiwei in New York – Photographs 1983 – 1993
Jusqu’au 18 mars 2012
Martin-Gropius-Bau Berlin
Niederkirchnerstraße 7
10963 Berlin
L’exposition a été présentée au Three Shadows Photography Art Centre (Pékin) du 2 janvier au 18 avril 2009 et à l’Asia Society Museum (New York) du 29 Juin au 14 Août 2011.
Commissaire de l’exposition : Ai Weiwei
Ai Weiwei in New York – Photographs 1983-1993
336 pages, 22,3 x 20,9 cm, Softcover
DISTANZ Verlag
ISBN 978-3-942405-50-8