Depuis près de vingt ans, l’artiste traque des images et des mots à forte résonance et s’applique à les mettre en mouvement dans des installations visuelles. Le Centre photographique d’Ile-de-France expose en ce moment son travail.
Avant la pose des paupières. Le titre de l’exposition donne bien l’idée que veut défendre Agnès Geoffray : interroger cet instant juste avant de fermer les yeux et ce moment d’après, où subsiste en nous l’empreinte d’une image. Ainsi, l’artiste décortique des photographies susceptibles de nous troubler. Au fond de la salle, par exemple, elle a posé un diaporama d’images représentant un homme qui va sauter de la Tour Eiffel croyant pouvoir s’envoler avec son costume ailé. Cet événement est vraiment arrivé en 1912. Franz Reichelt s’est jeté de la Tour et en est mort. Agnès Geoffray a repris le film et a décidé d’allonger le temps de l’image montrant l’individu dans une dernière hésitation avant de sauter. « Ce film m’a fasciné », explique-t-elle, « il y a ce petit moment où il hésite et on se dit que l’événement pourrait ne pas se passer ainsi, que Franz Reichelt pourrait renoncer au tout dernier moment ».
Penser la photographie
Un temps suspendu comme ces scènes de chasse que l’artiste expose ici ou là et sur lesquels nous voyons la bête traquée, sur le point d’être mise à mort, mais qui ne l’est pas encore. « Je cherche ces moments de suspension. Juste avant un événement dramatique. La photographie est un arrêt, mais elle n’est pas figée pour autant. Elle permet de penser. C’est ce que j’essaye d’inviter à faire. Repenser une image par le temps suspendu », dit Agnès Geoffray. Ainsi de cette photographie d’une femme pendue que l’artiste a collectée, puis qu’elle a retouchée. Elle lui a enlevé la corde autour du cou et nous avons l’impression de voir une personne en pleine séance de lévitation. Un jeu d’image qui cherche à nous troubler et qui demeure dans notre espace mental.
Jumeaux
Avec ces installations visuelles, Agnès Geoffray interroge notre chambre noire intime. Elle traque des sujets communs, susceptibles de nous réunir et y ajoute une touche d’inquiétante étrangeté. Il y a par exemple ces quatre photographies qui ouvrent l’exposition. Deux jumeaux tiennent un cadre dans les mains et dans ce cadre, il y a l’image d’une main. Juste à côté, une petite fille pointe quelque chose dans une salle de classe alors que sur le tableau est dessiné l’image d’un monstre. Voisine, une autre photographie montre une autre petite fille, accompagnée d’une personne âgée qui la tient dans les bras tandis que la petite essaye de serrer un objet imaginaire dans le vide.
« Tout peut advenir »
Fantômes, apparitions, disparitions…Le travail d’Agnès Geoffray tente d’ouvrir la perception à cette « latence » de l’image, à ce point de suspension dans le temps et à ce que nous en faisons dans notre cerveau. « Le suspend c’est un temps de résistance. C’est un temps où tout peut encore advenir. Par exemple j’ai fait une photo d’un parachutiste qui chute, mais sur la photographie il est suspendu, il flotte. C’est en ça que je parle de temps de résistance : le drame n’est pas encore là. C’est un temps qui n’est pas un temps de fatalité », détaille-t-elle.
Jean-Baptiste Gauvin
Jean-Baptiste Gauvin est un journaliste, auteur et metteur en scène qui vit et travaille à Paris.
Agnès Goeffray, Before the eye-lid’s laid
Du 8 octobre au 23 décembre 2017
Centre Photographique d’Ile de France
107 Avenue de la République
77340 Pontault-Combault
France