En décembre 2017, Françoise Huguier se rend à Bamako afin d’encadrer un workshop destiné aux photographes professionnels maliens. Cet atelier est intitulé « Sur les traces des étudiants maliens envoyés à l’Est ». Si cet énoncé fait appel à des références historiques bien ancrées au Mali et sur l’ensemble du continent africain, il demeure énigmatique pour une large partie de la population occidentale.
Depuis quelques années, un programme de recherches internationales (ELITAF) poursuit un travail d’exploration d’archives qui a notamment permis de remettre en lumière les relations entretenues par l’ex bloc soviétique avec de nombreux pays africains durant la Guerre Froide.
Lassé de la tutelle coloniale française, le Mali rejoint la vague de décolonisation triomphante et obtient son indépendance en juin 1960. Le pays se voit alors propulsé sur le grand échiquier de la scène internationale, devient le spectateur aguerri du jeu dangereux auquel s’adonnent les deux grandes puissances et se trouve contraint de maintenir un subtil équilibre diplomatique tout en cherchant à accroître sa puissance.
Au sein de ce contexte, l’URSS et les pays satellites apparaissent comme des partenaires de choix aux yeux du gouvernement malien, alors présidé par le socialiste Modibo Kéïta, notamment car ils cristallisent les enjeux liés aux luttes anticolonialistes et anti-impérialistes. Le bloc soviétique de son côté, voit dans cette possible alliance avec un pays francophone l’occasion d’étendre le rayonnement de son projet politique, économique et militaire de domination.
Ce programme fraternel et pacifique se concrétise par un premier accord de coopération soviéto-malien signé le 21 février 1961 qui établit les conditions d’une alliance militaire, économique, politique et culturelle. Dès 1963, le gouvernement malien envoie ainsi quelques centaines de milliers d’étudiants se former en URSS. La création de l’université Lumumba de Moscou, du nom du leader de la lutte congolaise pour l’indépendance (aujourd’hui rebaptisée Université russe de l’Amitié des Peuples), s’inscrit dans ce projet soviétique de récupération des pays non-alignés du tiers-monde. Toute une génération d’ingénieurs, de médecins, d’avocats, d’artistes se forme sur les bancs de cette école.
Cette coopération engendre également la construction de nombreuses infrastructures sur le territoire malien, notamment l’école nationale d’administration (ENA) de Bamako. Constructions locales, qui, au fil des années, occasionnent un amoindrissement des départs en URSS. Bien que l’apport éducatif soviétique se révèle d’une importance fondamentale en Afrique, les maliens ne tardent pas à mesurer les limites d’une politique autoritaire.
Quant aux autorités soviétiques, elles sont contraintes de constater que les solidarités raciales ou culturelles sur leurs territoires l’emportent nettement sur la solidarité de classe. [1] A la veille de la chute du mur de Berlin, environ 300 000 étudiants d’origine africaine se trouvent en URSS. Certains terminent leur cursus à l’Ouest afin d’obtenir un diplôme parfois plus valorisable.
Aujourd’hui, ces anciens étudiants sont pour la plupart à la retraite et cette passionnante histoire risque de se faire oublier. C’est pourquoi Françoise Huguier a décidé d’entamer un travail de recherches aux côtés de ses élèves, les poussant à aller se confronter aux souvenirs de leurs aïeuls ayant vécu en URSS. Ils ont ainsi pu redécouvrir cette histoire, ayant pour consigne de témoigner visuellement des documents d’archives liés à ces expériences soviétiques. Françoise Huguier et la Fondation Blachère ont le plaisir de vous présenter aujourd’hui les photographies issues de ce travail.
Joséphine Bisson
[1] Kastakioris Constantin. Transferts Est-Sud. Échanges éducatifs et formation de cadres africains en Union soviétique pendant les années soixante. In: Outre-mers, tome 94, n°354-355, 1er semestre 2007. L’URSS et le Sud, sous la direction de Marie-Pierre Rey. pp. 83-106
A l’Est de Bamako
du 8 février au 4 mai 2019
Vernissage le 7 février à 18:30
Fondation Blachère – Centre d’Art Contemporain Africain
384 Avenue des argiles / ZI les Bourguignons
84400 Apt
