C’est une première qui a été inaugurée au musée d’art contemporain des Abattoirs de Toulouse ; la réunion de deux grandes institutions et de leur fonds photographique. Un patrimoine riche et pas vraiment connu, quelques deux cent cinquante œuvres piochées à parts égales dans chacune des collections. Elles se sont constituées respectivement sur des critères propres, le Château d’eau embrassant l’ensemble des pratiques photographiques et les Abattoirs privilégiant les images plus expérimentales ou plasticiennes. Lauriane Gricourt, nouvellement nommée à la tête du musée et Christian Caujolle directeur artistique de la galerie toulousaine en ont assuré la sélection, forcément non exhaustive. Habilement disposées sur un parcours de 9 espaces, les images nous sont données à voir sous autant de thématiques liées aux pratiques photographiques : Sur le vif, pour l’instantanéité de la photographie ; Réalités parallèles, sur les différents langages des images ; Double Je, les autoportraits ; Perspectives-lieux et Perspectives–lignes, le cadrage, la composition ou encore les séquences et les lignes géométriques etc… Si Christian Caujolle et Le Château d’eau sont bien connus du milieu photo, il était intéressant de faire connaissance avec Lauriane Gricourt qui dirige donc les Abattoirs depuis le début de 2024.
Pouvez-vous nous résumer votre formation et votre parcours ?
Lauriane Gricourt : J’ai une formation d’historienne de l’art, passée par l’école du Louvre, et spécialisée dans l’histoire de la performance en URSS. J’ai commencé à travailler dans plusieurs institutions à Paris, le musée Maillol, la fondation Carmignac. Après avoir été senior curator à la Fondation Cartier pour l’art contemporain pendant 6 ans, j’ai rejoins les Abattoirs en tant que conservatrice en 2022.
Étiez-vous dans un département photo aux Abattoirs ?
L.G. : Il n’y a pas vraiment de secteur photo au musée ; la photographie fait partie de l’ensemble des collections, même si nous acquérons régulièrement ce médium, comme récemment Ouka Lele et Miguel Trillo par exemple, qui figurent dans l’exposition.
Quel est le processus des achats d’images ?
L.G. : Alors, Les Abattoirs sont un musée et un FRAC (Fonds régional d’art contemporain Occitanie) il y a donc deux collections mais qui sont mutualisées et gérées de plus en plus en corrélation, avec deux comités d’acquisition mais des axes communs d’enrichissement des fonds. Notre tropisme, qui est plutôt orienté sur la scène artistique Espagnole et Ibéro-Américaine, crée justement un lien entre nos deux collections.
Il n’y avait jamais eu une exposition uniquement photographique de cette ampleur ?
L.G. : Pas aussi monumentale, non ; en 2021 il y a eu l’expo Revue Noire qui était reliée au magazine du même nom, mais ça n’était pas d’une aussi grande importance.
L’initiative du projet revient-il aux deux institutions ?
L.G. : L’idée était déjà dans les cartons quand j’étais conservatrice, les bases avaient été posées avec Christian Caujolle, et nous avions prévu que Le Château d’eau devait être en travaux cette année ; l’occasion était trouvée, et nous avons fait le commissariat d’expo ensemble. C’était d’ailleurs très intéressant d’explorer notre collection au travers du prisme de la photographie, avec une typologie d’œuvres particulière.
L’exposition est-elle constituée à parts égales de vos deux fonds, Abattoirs et Château d’eau ?
L.G. : Oui. Il y a à peu près 5000 œuvres photographiques au Château d’Eau et nous avons aussi 5000 œuvres dont 500 photographies ; comme nous nous sommes partagé l’exposition, il y a donc une petite partie du fonds du Château d’eau et une plus grosse de notre collection. Christian Caujolle est d’ailleurs très heureux de pouvoir sortir certaines séries qui n’ont pas été montrées depuis longtemps, Kishin Shinoyama entre autres, ainsi que les originaux de certains livres photos mythiques.
Comment avez-vous mis en place le parcours de l’exposition ?
L.G. : Nous avons choisi de répartir les œuvres selon les grandes pratiques de la photographie plutôt que chronologiquement ; mais on retrouve quand même les jalons importants de la photographie tout le long des espaces, et certaines images qui ont marqué l’histoire de la photo comme August Sander et Doisneau dans les portraits, ou Shinoyama sur la question des corps. La composition de l’exposition a plutôt fait émerger des thématiques comme les grands courants ou mouvements photographiques et les manières de voir le réel, le rapport à l’image.
La variété des regards est étonnante, on trouve même des images de photojournalisme aux Abattoirs
L.G. : C’est vrai, aux Abattoirs nous privilégions un regard artistique, mais pour ce qui est du reportage ou de la photo documentaire, il y a aussi des photographes qui traitent d’enjeux sociétaux ou environnementaux, comme Matthias Bruggmann ou Alfredo Jaar, et qui conservent une démarche esthétique.
Les différents thèmes des espaces sont d’ailleurs en dialogues et leurs frontières sont assez poreuses
L.G. : C’est difficile de figer une image dans une thématique bien précise, on peut très bien trouver certains artistes dans des domaines différents ; ça montre aussi toute la malléabilité de la réalité je trouve, les photographes ont ce don de pouvoir manipuler le réel, tout en laissant ouvert l’interprétation, et l’imaginaire.
Par Jean-Jacques Ader
« Ouvrir les yeux » exposition des collections photographiques des Abattoirs et de la Galerie Le Château d’eau, aux Abattoirs de Toulouse, du 11 Octobre 2024 au 18 Mai 2025 – Informations https://www.lesabattoirs.org/Expositions/ouvrir-les-yeux/
https://chateaudeau.toulouse.fr/
Publication d’un Connaissance des arts hors-série « Ouvrir les yeux »