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À Saint-Étienne, les richesses de la collection du MAMC+

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Le Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole (MAMC+) publie un ouvrage imposant, Collections, relatant les richesses d’un musée capital en France. Outre l’étendu de sa collection moderne, ses œuvres minimalistes américaines, sa place dans l’histoire du Design en France ou ses différents fonds propres aux mouvements Supports-Surfaces, Fluxus, Arte Povera… le musée comporte l’une des plus collections photographiques les plus riches de France.

Loin d’être articulée autour de plusieurs mouvements, la richesse des collections photographiques du MAMC+ doit se conjuguer au pluriel. Elle n’est pas seule mouvance, ni même quelques axes forts, mais représente une myriade d’artistes constitués, émergents ou expérimentaux. L’histoire de cette aventure muséale s’écrit au gré des mutations de Saint-Étienne. En voici un long extrait, tiré de l’essai de Nicolas Pierrot, conservateur en chef du patrimoine et chercheur au service Patrimoines et Inventaire de la Région Île-de-France : «Frontières mouvantes… Une collection de photographies au risque de la désindustrialisation ».

Cette collection dépasse le seul médium photographique pour aborder des mouvements multidisciplinaires, à l’image du Narrative Art représenté par Dennis Oppenheim, Peter Hutchinson ou encore Mac Adams. Le Narrative Art comme le Conceptual Art ont été enrichis par des donations historiques au musée dans les années 1980, grâce notamment aux collectionneurs François et Ninon Robelin et Vicky Rémy. L’histoire de ces donations est relatée dans un essai d’Alexandre Quoi, responsable scientifique du MAMC+ et directeur d’ouvrage.

 

Extrait de l’essai «Frontières mouvantes… Une collection de photographies au risque de la désindustrialisation » de Nicolas Pierrot. 

[…]

« La constitution de la collection s’inscrit, en premier lieu, dans un mouvement pionnier à l’échelle nationale. Si, dès 1964, les collectionneurs Jean et André Fage fondaient à Bièvres le premier Musée français de la photographie, il fallut attendre plusieurs décennies pour que le million d’images rassemblé (dont un fameux gisement de photographies d’amateurs) soit reconnu comme objet d’étude et d’exposition capable de rivaliser avec la collection d’appareils et d’accessoires. C’est également autour d’une collection d’objets qu’avait été fondé à Chalon-sur-Saône, en 1972, le musée Nicéphore Nièpce. En 1965, Arles innove en créant le premier département de photographie au sein d’un musée des Beaux-Arts, bientôt suivi par Marseille. Vient ensuite le musée d’Orsay en 1978, puis le Musée national d’art moderne au milieu des années 1980. Il avait fallu, pour que le médium soit légitimé, qu’il fasse irruption dans les arts plastiques – dans la lignée du Pop art et du Narrative Art – avant que la valorisation des « artistes utilisant la photographie » ne suscite d’utiles réactions de la part de photographes et de critiques, comme Michel Nuridsany, proclamant la singularité de la démarche photographique ; il aura fallu aussi qu’une nouvelle génération d’historiens, délaissant l’étude du procès en illégitimité artistique intenté de longue date à la photographie, s’intéresse à la spécificité du médium et à la « prolifération de ses usages ».

En deuxième lieu, la première collection de photographie du Musée d’art moderne de Saint-Étienne se distingue par sa relative brièveté. Certes, l’héritage transmis par le Musée d’art et d’industrie était fort modeste : 266 photographies rassemblées (sans être inventoriées) depuis la fin du XIXe siècle par quelques industriels et amateurs. Mais à partir de 1988, l’inventaire ne s’enrichit que de 20 à 70 numéros par an : en 1996, au seuil d’une première pause dans les acquisitions, la collection comptait 855 pièces. C’est que ses concepteurs avaient privilégié la photographie d’auteurs et construit des séries cohérentes autour de choix thématiques. Ainsi Jean-François Chevrier, pour la collection du FRAC, avait-il d’abord retenu le thème du corps, rapidement associé à celui des univers du travail. Quoique non-exclusive, ces thèmes offrent le point de départ – et les motifs récurrents – d’un parcours entre les partis-pris photographiques et les continents, présenté comme suit par Martine Dancer dans le premier catalogue de la collection (2005) et somptueusement relayé par celui de 2007.

La figure sensible de Raoul Hausmann ouvre le bal. Les 69 tirages de l’opérateur « émotionné », refusant au cours des années 1930 la posture du « photographe oppresseur », témoignent d’un inventaire stylisé de l’environnement immédiat – absorbant dunes, landes et corps de femmes nues sur la plage –, jusqu’à l’abstraction expérimentale de ses photogrammes d’après-guerre. La voie de la photographie abstraite est suivie de concert par Laure Albin-Guillotou encore Peter Keetmann en 1950, à la faveur d’un saisissant plongeon féminin formant chevron avec une plage de galets blancs. Une abstraction que ne boudent pas non plus ces photographes-auteurs attachés à la saisie du monde du travail. Parmi les vintages de Piet Zwart – très lié au mouvement De Stijl – réalisés en usines durant les années 1930, on distingue fréquemment les cadrages serrés, cherchant la « beauté technique » par le jeu de formes décontextualisées ; et parmi celles de René-Jacques (chez Renault) ou de Peter Keetmann (chez Volkswagen) dans les années 1950, les détails de tôles roulées ou estampées formant vagues et tourbillons. C’est qu’ils ne sont pas hostiles à une forme de « photographie subjective », « privilégiant la forme épurée de la description face à la forme narrative de la photographie amateur ». En contrepoint, la photographie à portée humaniste n’est pas non plus absente de la collection, qu’elle soit anonyme ou signée de l’incontournable Walker Evans dont « le très énigmatique portrait de femme, comme absente du monde, [pris] à l’insu de celle-ci dans le métro », tranche avec son engagement connu dans le style documentaire et constitue l’un des chefs d’œuvre de la collection. Le style documentaire, précisément, affiche la qualité formelle et la violence de son regard dans les Mains d’un grand blessé de guerre (1946) d’August Sander. Saisir les drames et les joies de l’après-guerre, voici le rôle que s’octroient aussi la publicité et le journalisme qui, dans les années 1950, à l’Est (Vàclav Jirù ou Jan Lukas en Tchécoslovaquie) comme à l’Ouest (René-Jacques, Federico Patellani), offrent revenus et territoire d’expression à de nombreux portraitistes.

Mais c’est finalement le rapport de l’homme à son environnement urbain qui, dans la collection, tient le haut du pavé. On songe à Lisette Modell qui, dans les années 1950, revendiquant un rendu granuleux, voire flou, saisit dans le vacarme, la foule et la fébrilité de New York la démesure de la vie urbaine ; on songe aux banquiers londoniens de Robert Franck ou aux quartiers noirs délaissés de New York, par Helen Levitt ; au regard quasi-ethnographique et brutaliste de Nigel Henderson – membre de l’Independent Group – captant la jeunesse désœuvrée de l’East End londonien ; et en avançant vers l’extrême, au portfolio de Larry Clark montrant la dérive de jeunes Américains dans la drogue, l’alcool et le sexe après le climax illusoire de 1968.

Enfin et comme promis, cette première collection rend hommage à son territoire d’élection. Avec subtilité. « J’ai évité le régionalisme », se réjouissait Jean-François Chevrier en 2005, quand Michel Thiollière, sénateur-maire de Saint-Étienne et président de Saint-Étienne Métropole, se montrait « sensible à la présence dans les collections de vintages qui témoignent de l’histoire de notre région ». C’est que la stratégie consistait non à rassembler un corpus de vues régionales, mais à distinguer les talents locaux. En 1995, on redécouvrait Félix Thiollier – après sa distinction par le MoMA – non pour les valeurs documentaires de ses vues du Forez rural et industriel, mais pour son romantisme et la profondeur de ses noirs. On mobilisait les prises de vues de Gunther Förg montrant les « maisons sans escaliers » de Saint-Étienne, pour revaloriser enfin le patrimoine de la cité. On opérait un coup de maître avec l’achat, en 1996, d’une composition spécialement conçue pour le musée par Bernd et Hilla Becher, intégrant le puits Marseille du Chambon-sur-Lignon dans une typologie de chevalements. On suivait quelques photographes installés sur le territoire, à l’image de Jean-Louis Schoellkopf ou d’Yves Bresson. Plus généralement, la thématique du travail et de l’industrie, prolongement de la thématique du corps, résonnait avec l’histoire économique d’un bassin en mutation.

 

Décloisonnement

Sur cette base, légère mais robuste, la construction de la collection prit un nouveau départ durant les années 2000. Selon trois directions empruntées au gré des crédits ponctuels, des rencontres et des donations. Il fallait d’abord encourager au dialogue entre les disciplines, les supports et les techniques grâce à la présence d’installations contemporaines intégrant le médium photographique, de l’argentique au numérique. Ce que permit la donation d’installations de Christian Boltanski, Jean-Marc Bustamante ou Ange Leccia par la Caisse des Dépôts et consignations en 2006. Après avoir acquis plusieurs œuvres de Nan Goldin en 1998, de Cindy Sherman en 1999, ou de Gilbert & George, le musée s’intéressait bientôt à une nouvelle génération de photographes contemporains, tels que Jean-Pierre Khazem ou Nicole Tran Ba Vang.

Il fallut, parallèlement, suivre au plus près la réévaluation contemporaine des usages, fonctions sociales et valeurs de la photographie. Dans cette perspective, l’achat de plus de 4500 clichés du studio publicitaire Paul Martial (années 1930-1950) fut vécu par Martine Dancer comme un « coup de poker » : ces images proliférantes du monde industriel, jusqu’alors réservées aux archives, bibliothèques ou musées de société, entraient au Musée d’art moderne. Une logique d’acquisition qui rejoint celle de la bibliothèque Jean Laude intégrée au musée, où se côtoient les livres d’auteurs – Brassaï avec Paris la nuit, Ed van der Elsken, Ed Ruscha, William Klein, mais aussi François Kollar avec La France travaille ou l’ensemble des ouvrages de Blanc et Demilly – et les revues publicitaires. Depuis lors, ces images jouent, avec les autres vintages de la collection, un rôle fondamental dans les expositions pluridisciplinaires du musée, dans une forme de « synthèse des arts » qui décloisonne les présentations autrefois fermées et interrogent la hiérarchie fictive entre le discours sur les œuvres et l’interprétation des documents.

Mais terminons sur la photographie d’auteur, qui jamais ne fut mise à distance, en particulier celle des talents issus du territoire. À partir de la thématique du corps, on était passé à celle du travail, puis à celle l’environnement urbain. La collection pouvait dès lors s’ouvrir à la photographie d’architecture moderne. En 1999, Ito Josué offrait au musée, après son exposition, 123 clichés de la série Publics, réalisée avec Louis Caterin : ils avaient saisi, durant la « décentralisation théâtrale », les visages des spectateurs du théâtre en plein air de Jean Dasté, se détachant dans la pénombre sur fond de décor urbain. Trois ans plus tard, Ito Josué donnait progressivement au musée 970 négatifs, soient autant de vues d’architecture du bassin stéphanois et de ses projets urbains du mouvement moderne finissant – Firminy-Vert marqué par la figure de Le Corbusier –, en cours de patrimonialisation. La thématique s’est enrichie, en 2018, avec l’acquisition des remarquables prises de vues de la Cité des étoiles de Givors de Jean Renaudie, réalisées par Rajak Ohanian en 1974, autre vision des mutations architecturales du territoire métropolitain. En regard, les trois grands formats de Roselyne Titaud, issus de la série Oktogon réalisés en 2011 dans un grand hôtel berlinois, offrent un pendant méditatif à ces irruptions verticales ou proliférantes des périphéries urbaines. Enfin, le musée ne pouvait manquer d’exposer Valérie Jouve, célèbre enfant du pays, dont le cheminement personnel dépasse en signification le simple ancrage au territoire. En passant du rouge au vert, en détournant son regard de la lumière des étoiles mortes – celle la ville industrielle –, pour scruter à la base des troncs d’arbres les écorces à crevasses, elle tisse le lien indispensable entre le traumatisme de la perte et l’espoir d’un monde nouveau. »

Nicolas Pierrot

 

Collections
Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole (MAMC), 2021
Coédité avec Snoeck Publishers. Ouvrage dirigé par Alexandre Quoi, responsable scientifique et Aurélie Voltz, directrice du MAMC+. Graphisme de Catherine Barluet et Corinne Thevenon.
350 pages, 39 €.
Disponible à partir du 15 avril 2021.

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