« A rock is a roc is a roque » : c’est sous ce drôle de titre, quasi un gimmick, que Nicolas Havette, directeur artistique présente sa nouvelle exposition de photographie. La galerie du Magasin de Jouets à Arles accueille jusqu’au 15 juin, trois jeunes talents de la photographie contemporaine qui confrontent leurs univers, leurs attitudes et leur pratiques à travers des travaux complémentaires. Ulrich Lebeuf, Stéphane C. et Olli Berry nous livrent le monde tel qu’ils le voient, comme l’exprime Nicolas : « Ce qui les lie est leur volonté de se réapproprier le monde, de l’user, d’en prélever des extraits minutieusement choisis et de les mettre en relation, les faire se frictionner ou les entremêler afin d’en révéler la poésie, parfois proche de l’absurde, propre à la vie et à l’expérience du monde contemporain. »
À travers la collision des différentes œuvres photographiques, Nicolas Havette vous invite à révéler vos sensations, et ainsi plonger dans les univers respectifs d’Ulrich, Stéphane et Olli.
• Ulrich Lebeuf – Alaska Highway
La dernière route de l’Occident. Road trip dans le silence blanc du Grand Nord. Ce long serpent noir qui file entre les glaciers fut construit en seulement huit mois pendant la Seconde Guerre mondiale. Après les bombardements de Pearl Harbour, en 1941, les Etats-Unis redoutent une invasion des japonais par le nord. Pour faire face à cette menace, près de 20 000 hommes entreprennent de relier l’Alaska au reste du continent américain.
[…]
Autour de nous, les glaces, parcourues de veines mauves plissent comme la peau d’un éléphant : un monde sauvage et solitaire, dans lequel on a le sentiment d’entrer par effraction. Les routes de l’Occident s’arrêtent là. Au-delà, un autre règne commence : l’immensité sauvage, les fleuves endormis, le silence. On a le sentiment jubilatoire et inquiétant d’être parvenu au bout du monde. L’esprit retrouve une forme d’équilibre élémentaire : « Dans le Grand Nord, écrivait Jack London, personne ne parle, tout le monde pense […]. C’est ici que l’homme trouve sa véritable perspective.
• Olli Bery – Crusade
Je devrais être mort ou en prison. Au lieu de cela, je suis en vie et entouré d’amour. Ce ne sont pas des photos, mais des battements de Coeur. Ils sont réels, je les ai vécus.
Ils ont le goût amer de la Revanche, mémoire des mes erreurs, boursouflures malsaines du passé. Synthèses d’instants de solitude, sans gloire. Parfois le ventre creux ou le sang plein d’alcool, usé par les épreuves. Le reportage pendant des années. La sincérité de mes sentiments, j’y ai vécu. Je me suis endurci aux quatre coins de l’Europe et ailleurs. Trop peut être. Trop engagé dans la compréhension des autres, j’avais oublié de regarder ma propre vie, sans savoir décoller l’oeil du viseur, en blessant profondément les miens et moi même. La rue m’a reprit, un matin d’autodestruction et j’ai compris enfin tout le sens de la “liberté”: un mot de plus qui me signifiait plus rien à perdre. Je me suis alors abîmé en elle, marchant jusqu’à l’épuisement, photographiant sans cesse sans autre but que de trouver un prétexte pour m’aider à respirer. Sans mes précieux ami(e)s, je n’aurais pas entendu ce murmure difficilement acceptable, persistance positive qui défiait l’adversité et me disait qu’il fallait continuer de vivre tout en documentant mon propre enfer.
(Désormais) La noirceur apparente des photos est inversement proportionnelle à mes sentiments actuels. L’espoir surgit violemment des noirs profonds et monte à l’assaut de ma raison. S’autoriser à vivre un moment de plus avec amour paraît finalement simplement complexe. Tout va bien.
Sans compromis.
• Stéphane C. – They never adopted the name for themselves
Sans commencement ni fin, Stéphane C. se livre à ce geste obsédant qu’est photographier. Et qu’importe où il se trouve, ce qu’il fait. Car l’essentiel est d’arracher aux choses leur voile d’incertitude. Comme si la somme des apparences ne donnait du monde qu’une vision parcellaire et toujours indéfinie. Toujours vibrante, vivante. Ces images ne dévoilent pas un autre monde, il s’agit bien du nôtre, mais le photographe, avec une émouvante sincérité, tâche d’en relever ses blessures et ses déchirements. Tentative exacerbée de faire coexister sur un plan photographique, le réel et son double, comme vouloir faire entrer le jour dans la nuit.
À la fois reclus dans une solitude essentielle, mais sans cesse tourné vers le dehors, Stéphane C. répète à qui veut l’entendre qu’il prend le risque de vivre en retrait, contre la vanité du jeu social et contre la valeur d’un art dont les formes les plus couramment répandues l’écoeurent. Car il entend bien revenir au monde et habiter en images un espace qui sépare ses fantasmes de l’autre vie. Avec un mélange d’énergie, de ténacité, et une mélancolie qu’il a réussie à transformer en une pure nervosité réceptive, Stéphane C. capte les figures d’un monde sur le point de se fissurer. Et dans la chair des images, ces motifs s’agrègent les uns aux autres, et nourrissent une série ouverte, toujours vivante. Il photographie peut-être pour éroder les contours de ces territoires trop lisses. Au pire, il les abîme davantage. Au mieux, il s’en rapproche en ne lui promettant aucune consolation, juste de la vigilance, tant qu’il en est encore temps. S’il a travaillé longuement la matière de l’intime, il devine qu’il faut aller plus loin pour déplacer les limites d’un territoire et sortir aussi du petit monde de la photographie. Contrairement à des esthètes planqués dans leur chambre, Stéphane C. a compris que c’est en se frottant directement aux choses que ses yeux s’ouvriront pour eux-mêmes. Pour l’instant, ses yeux, il se contente de les écarquiller : il ne faut pas entamer davantage la blessure du regard. Le point de vue qu’il défend est celui d’un opérateur agissant, soucieux de ses contemporains, convaincu de devoir dépasser constamment ses champs d’action, d’ouvrir l’image à la musique, par exemple, aux grands mouvements du monde. Il rectifie sans cesse ses sélections. Terrifié à l’idée d’une oeuvre figée, terminée, qui aurait quelque chose, en somme, de mortel.
Il préfère l’enrichir, l’amputer, constamment. Corpus d’images en perpétuelle régénération.
Et quoi de neuf, aujourd’hui, entre le soleil et l’ombre ? Il y a « le problème de type grec », comme disait Jean-Luc Godard, et cette virée récente du photographe à Athènes d’où il a rapporté un sac de pellicules consommées sur place, et des nombreuses heures d’images filmées dans la réalité qui ne tourne pas rond. Partir, rompre, revenir, construire… Amaury da Cunha
A rock is a roc is a roque
Ulrich Lebeuf – Stéphane – C. Olli Bery – Les Jnoun
Photographies, films-photographiques et objets-photographiques
Du 30/03 au 15/06/2012
Le Magasin de Jouets
19 rue Jouvène à Arles
Galerie ouverte du merc. au sam. de 13h30 à 19h30