« Ex Africa semper aliquid novi » (de l’Afrique il y a toujours quelque chose de nouveau), écrivait Pline l’Ancien, naturaliste romain, il y a deux mille ans de cela après qu’il soit revenu d’un voyage dans le Nord du continent africain. C’est à partir de cette phrase que le Centre Culturel Banco do Brasil (CCBB) de Rio de Janeiro a déterminé le titre de son exposition consacrée aux œuvres d’une vingtaine d’artistes africains, Ex Africa, « De l’Afrique ». L’exposition arrive à un moment où la ville de Rio de Janeiro semble tout juste commencer à se rappeler (timidement) de ses racines africaines ; avec la découverte et mise en valeur récente de plusieurs sites historiques liés à l’histoire de l’esclavage, mais aussi à travers des mouvements de revendication identitaire de la part de certains brésiliens qui se font chaque fois plus manifestes.
Sur la vingtaine d’artistes présentés, plus d’un tiers utilise la photographie, ce qui montre la forte présence du médium dans la sphère artistique du continent. Focus sur les œuvres photographiques d‘Ex Africa.
A travers un motif apparemment simple, qui est celui des coiffures des femmes nigérianes, J. D. ‘Okhai Ojeikere touche à des questions pourtant aussi vastes que celles de l’indépendance de nombreux pays africains pendant les années 1960, et celles des syncrétismes culturels et mouvements esthétiques qui en découlèrent. Un petit extrait de l’édifiant travail (constitué de plus de mille images) réalisé par le photographe nigérian permet de contempler ces coiffures, photographiées de manière si graphiques qu’elles relèveraient parfois presque plus du design ou de l’architecture.
Parmi les travaux qui abordent également l’Histoire des collisions culturelles entre l’Europe et ses colonies sur le territoire africain, l’on retrouve les autoportraits d’Omar Victor Diop, qui, lors d’une résidence artistique sur le territoire européen, a commencé à se photographier dans la peau d’une série d’illustres hommes africains ayant marqué l’Europe entre le XIVème et XIXème siècle. Le travail intitulé Diaspora présente ainsi une galerie de portraits inspirés du style de la peinture baroque européenne.
L’artiste et activiste zimbabwéen Kudzanai Chiurai présente, lui, d’imposantes photographies de sa série Genesis, dans laquelle il raconte la colonisation de l’Afrique centrale et orientale après les expéditions de David Livingstone, qui avait l’intention de remplacer l’esclavage par le commerce et le christianisme. La thématique de l’esclavage est également abordée par le Béninois Leonce Raphael Agbodjelou, qui raconte en cinq triptyques un quartier de Porto Novo, la ville d’où est originaire l’artiste, et qui a également été le lieu où s’était établie une communauté de ceux qui, ayant survécu à l’esclavage, avaient rejoint l’Afrique depuis les Amériques. Il raconte dans ses photographies la dégradation de l’architecture coloniale du quartier, tout en portraiturant les descendants de ces esclaves affranchis de retour sur le continent.,
La photographie de rue est aussi présente au sein de l’exposition, à travers les images de Guy Tillim, qui fait de la street photographie dans son expression la plus pure, dans les capitales de plusieurs pays africains. Il crée ainsi un travail empreint d’une sorte de décalage, puisqu’empruntant un style photographique familier, largement connu et exploré, dans des lieux où il a moins été pratiqué — ou dont nous avons en tout cas moins l’habitude de voir les images.
Le Sud-Africain Andrew Tshabangu montre de touchantes photographies en noir et blanc de foyers où vivent de manière très précaire leurs habitants. Enfin, comme en écho au travail de Tshabangu et à la question de l’habitat en Afrique du Sud, Mikhael Subotzky e Patrick Waterhouse présentent Ponte City, une installation de photographies rétro-éclairées qui montrent les vues depuis les fenêtres des appartements d’un gratte-ciel du centre de Johannesburg, nous plongeant entre l’intimité des habitants et l’impersonnel des tours d’habitations.
S’il paraître réducteur d’englober tout un continent dans une exposition (comme c’est bien trop souvent le cas lorsque l’on aborde l’Afrique dans les institutions culturelles occidentales), et que se pose la question de savoir si l’origine des artistes peut à elle seule justifier le thème d’une exposition, il n’empêche qu’Ex Africa montre un art et des artistes que nous sommes peu habitués à voir, et offre, notamment en photographie, un panorama varié, éclectique et rafraichissant.
Elsa Leydier
Elsa Leydier est photographe et auteure spécialisée en photographie. Elle partage sa vie entre Lyon et Rio de Janeiro.
Ex Africa
Jusqu’au 26 mars 2018
Centre Culturel Banco do Brasil
Rua Primeiro de Março, 66
Centro, Rio de Janeiro
RJ, 20010-000