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59e Biennale de Venise : Lebohang Kganye : Once Upon a Time

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Texte de Marie Meyerding

« Into the Light » est le thème choisi par le commissaire Amè Bell pour présenter l’Afrique du Sud à Venise cette année. Aux côtés de Roger Ballen et Phumulani Ntuli, Lebohang Kganye expose une de ses premières séries photographiques à l’étage supérieur de l’Arsenale. Quatorze photographies de tailles différentes sont présentées dans divers formats. Des murs sombres et des couloirs étroits soulignent l’intimité des photographies scintillantes d’or éclairées par des projecteurs. Réalisé vers la fin de ses études au Market Photo Workshop en 2011, B(l)ack to Fairy Tales tisse des histoires personnelles et des archives visuelles du milieu familial de Kganye à travers l’autoportrait. Ainsi, une formule émerge que nombre de ses œuvres ultérieures suivront.

Dans B(l)ack to Fairy Tales, Kganye explore l’influence des contes de fées occidentaux durant son enfance. S’identifiant au personnage de Blanche-Neige en tant que fille, Kganye décrit comment sa peau noire et son environnement contrastaient avec ses fantasmes, tant au niveau de l’apparence de ses idoles que de leurs conditions de vie. Elle reflète à quel point « les idées de romance et de dénouement heureux […] sont en contradiction avec le fait que j’aie grandi dans un township noir ». Pour mettre en scène cette absurdité et son intangibilité, Kganye se présente dans la maison de sa grand-mère, où elle a grandi, avec peau peinte en noir, costumes excentriques et certains de ses vieux jouets d’enfance dans des images pour la plupart floues. Porter des robes et un rouge à lèvres saisissant marquent les performances de Kganye comme distinctement sexuées.

Le flou apparaît dans différents états, faisant référence non seulement au caractère insaisissable des souvenirs, mais également à leur relation difficile avec les affirmations de vérité et les preuves factuelles. La photographie négocie cette relation difficile, ce qui en fait le médium idéal pour Kganye – dont le nom la relie indirectement au médium, car il signifie «lumière» en sotho – pour explorer en permanence l’histoire de sa famille. En 2013, Kganye a créé sa série en deux parties Ke Lefa Laka, dans laquelle elle imite sa mère décédée dans des photographies trouvées d’une part et reconstitue la vie de son grand-père sous l’apartheid d’autre part. Ce dernier constitue la base du premier film de Kganye Pied Piper’s Voyage (2014) que de nombreux autres ont suivi à ce jour, Dipina tsa Kganya (2021) étant son dernier ouvrage. De la même manière, basées sur les traces visuelles et orales de son ancêtre, ainsi que sur la littérature africaine traitant de possibles transcriptions de réalités comme dans In Search for Memory (2020), ces œuvres ultérieures, leurs références thématiques à la politique identitaire et leur visualisation à travers une suraccentuation de l’ombre et de la lumière se trouve déjà dans B(l)ack to Fairy Tales.

Deux des photographies de la série ne montrent pas Kganye directement : Untitled 5 présente une maison faite de différents papiers tandis que Untitled 1 ne révèle que l’ombre de l’artiste. Pourtant, ces images ne dépeignent pas moins de l’artiste – au contraire, ce n’est qu’à travers leur inclusion qu’il devient clair à quel point ces autoportraits vivent peu de la présence physique de Kganye. Pour mieux comprendre comment certaines sociétés africaines appréhendent la réalité, Oyèrónkẹ́ Oyěwùmí introduit le concept de « monde-sens » dans son texte « Visualiser le corps ». Contre la « vision du monde » eurocentrique et ses liens entre la visualité suraccentuée et le patriarcat, ce concept « ne privilégie pas le monde physique sur le métaphysique. » Avec des œuvres telles que Untitled 3 montrant l’apparition étrange de grandes ailes rayonnantes et transparentes derrière son corps, la série de Kganye démontre magistralement que la photographie est un puits -un médium adapté à nul autre pareil pour saisir le corps genré entre le physique et le métaphysique. Tout aussi critique et ludique, Kganye met en lumière les identités politiques de genre émergeant de l’interconnexion des influences mondiales et locales et des dissonances qui en résultent.

Marie Meyerding

https://www.labiennale.org/it

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