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40 ans de photojournalisme, Génération agences #22

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Cette image est extraite du troisième livre de Michel Setboun et Marie Cousin sur les agences. Le livre est intitulé 40 ans de photojournalisme, génération agences. Quatre-vingts photoreporters ont choisi et commentent une image emblématique de leur parcours. L’image que nous publions aujourd’hui est une photographie réalisée par Alain Buu.

Il pleut des cailloux. J’ai couvert l’Intifada en Israël et Palestine, mais je n’ai encore jamais vu autant de pierres voler comme ça. Nous sommes le 2 février 2011. Depuis quatre ou cinq jours, les manifestants anti-Moubarak occupent la place Tahrir.
La veille, le président a fait un discours pour appeler le “peuple égyptien” à ne pas se laisser faire par cette bande de “gauchistes”. Près de 30 000 personnes entendent son appel : des policiers en civil, des supporters du régime et des voyous sortis de prisons, payés pour casser du manifestant. Ça dégénère vite, pour finir en bataille rangée. Je quitte la place. Les fronts sont partout. Je m’enfonce dans la rue Talaat Harab jusqu’à cette barricade. D’abord du côté gauche, mais les manifestants me repoussent. Les gens refusent que je les photographie. Fiers et nationalistes, les Égyptiens ne veulent pas qu’on les voie s’étriper entre eux. Je rebrousse chemin, sur environ 50 m, et passe de l’autre côté. Cette fois, ils sont tellement occupés à se battre que je peux m’approcher sans qu’on me remarque. Je me colle contre cette barricade pour me protéger des projectiles. Les pierres s’abattent par centaines. On entend les mecs de l’autre côté, à 5 m à peine. Je photographie avec l’œilleton de mon appareil à 5 cm de mon œil, car je surveille autour de moi s’il y a danger. J’appuie en fonction des mouvements que je perçois. Et puis, au moment où je prends cette photo, ce type au premier plan, la bouche ensanglantée, me voit et se met à m’engueuler. Il ne pousse pas un cri d’horreur, ne crie pas des ordres de bataille. Non. Il m’engueule, moi. Trois secondes plus tard, la barricade s’effondre ! C’est sauve-qui- peut sur le bitume défoncé. Si tu marches sur un caillou, tu te tords la jambe et c’est fini pour toi. Mais dans ces moments-là, assez intenses, je suis très calme, je me sens bien dans l’action et je vois tout au ralenti. Les sens plus aiguisés. Pour moi, c’est un moment très émouvant : j’ai fait pas mal de conflits, mais c’est ma première révolution.

Propos recueillis par Kevin Erkeletyan

LIVRE
40 ans de photojournalisme, Génération agences
par Michel Setboun et Marie Cousin
Editions de la Martinière
250 x 285 mm
240 pages
9782732464022
39 €
http://www.editionsdelamartiniere.fr

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