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Camille Lepage

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La photographe indépendante française Camille Lepage a été assassinée le 13 mai 2014 en République Centrafricaine. Wilfrid Estève, cofondateur du studio hans lucas, nous a confié une partie de leurs dernières correspondances.

 

« Et à deux de mes amis, je dis aux portes de la nuit : si un rêve est indispensable qu’il soit à notre image… » — Mahmoud Darwich.

 

Camille,

Notre correspondance va terriblement me manquer.
Tes doutes, ta franchise, ta bienveillance et ton professionnalisme m’ont touchés dès notre premier rendez-vous.

Je pense connaître certaines de mes faiblesses, notamment la peur ou ne pas être très à l’aise pour approcher un individu inconnu et commencer à le photographier… Je pense que c’est complètement normal mais je n’ai jamais réussi à dépasser cette crainte ailleurs que dans les monts Noubas où les gens sont très accueillants. 

Nous nous sommes rencontrés en mai dernier par l’entremise de ton amie, Virginie [Nguyen Hoang]. Malgré tes interrogations et ce sac à dos qui semblait rassembler toute ta vie, ta maturité et ta détermination nous ont vite fait oublier la jeune diplômée — de 25 ans — que tu étais. Tu justifiais ton installation à Djouba au Soudan du Sud, ce désir de travailler en Centrafrique et le fait de devenir freelance.

[…] Pourquoi le Soudan du Sud ? Souvent perçu comme damné, je tente d’identifier les obstacles que ce nouveau pays rencontre mais aussi les avancées faites par cette nouvelle nation qui cherche, tant bien que mal, à trouver une véritable identité nationale.

Mon intérêt se porte aussi sur les conflits qui font rage au Soudan, et dont les seul points d’entrée sont au Soudan du Sud. Les civils en sont les premières victimes, le gouvernement de Khartoum interdisant notamment l’accès de toute aide humanitaire dans ces régions. Mon travail consiste a apporter une visibilité, actuellement quasi inexistante sur une crise humanitaire négligée ainsi que sur le quotidien des civils, mais aussi une compréhension des enjeux de ces combats : religieux, ethniques ou encore environnementaux.

M’installer à Djouba correspond à un idéal professionnel et personnel : permettre une meilleure compréhension de fond d’une petite partie du monde, couvrir ces zones délaissées et rapporter des images nouvelles de régions ignorées voire oubliées. […]

Tu étais tout sauf une tête brûlée. Tu as déserté le traitement de l’actualité pour celui du documentaire et réaliser un travail au long cours et en profondeur. En une dizaine de mois tu as su te faire respecter et publier tes photographies dans les plus grandes rédactions. Et ce malgré un contexte compliqué.

[…] Pour le moment, c’est hyper chaud de bouger, donc je bosse avec Daniels, Terdjman, Dock et Zumstein… Aucune voiture ne circule dans la ville à part celle des mecs armés et les 2 ou 3 de la presse.

J’ai un plan pour partir avec les anti-Balakas que je connais, mais aucun moyen de m’y rendre de façon sécurisée donc pour le moment j’attends…

Merci Wilfrid pour tes conseils, je te tiens au courant !

Je repense souvent à l’un de tes coups de gueule.

Est-ce que vous pourriez partager sur les réseaux sociaux la photo que je viens de mettre sur Facebook et Twitter ? Avec la mort de Mandela, plus personne ne s’intéresse à la RCA alors que c’est un véritable carnage et que des centaines de personnes ont été tuées entre hier et aujourd’hui… et il est vraiment nécessaire que l’information tourne au maximum. 

Ainsi qu’aux bons souvenirs.

Hello à vous trois,

Désolé pour le manque de nouvelles, je m’accorde quelques petites vacances avant de repartir en RCA. Mais je tenais juste à vous dire que Hans Lucas vient de remporter un POY avec l’une de mes photos :))

Je suis super heureuse comme vous pouvez l’imaginer !

Je vous embrasse et à très vite !

Kind regards,

Camille

Hello à vous tous,

Je suis toujours aux US (ndlr : pour les Portfolios Reviews du New York Times), j’enchaîne les rendez-vous avec les iconos, cela se passe très bien. J’ai vu JFL (Jean-François Leroy, directeur de Visa Pour L’Image), qui a beaucoup aimé ce que j’ai fait. Il fera une projection de mon travail, et je le revois en juin pour lui donner le complément de mon reportage, donc c’est une très bonne nouvelle !

Voilà voilà !

A très vite !

Voilà, voilà, comme tu aimais dire… Aujourd’hui, c’est toute la profession des journalistes et des photographes qui est en deuil. En colère aussi. Surtout celle des pigistes que l’on retrouve souvent en première ligne sur les terrains de l’actualité.

Ce soir je t’écris un deuxième mail depuis dimanche et je m’attends à un deuxième silence. Si je te dis que la vie va continuer, ce serait malhonnête et je le sais. Je ne te lirai plus et je le sais aussi.

Kinds regards,

Wilfrid 

http://hanslucas.com/clepage/photo
http://camille-lepage.photoshelter.com
 

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