Rechercher un article

11e édition des Rencontres de Bamako, vues par Françoise Huguier

Preview

L’auteur et ancienne ministre de la Culture et du Tourisme du Mali Aminata Traoré écrit : « Nous, peuples d’Afrique, autrefois colonisés et à présent recolonisés à la faveur du capitalisme mondialisé, ne cessons de nous demander : que sommes-nous devenus ? »

Est-ce que la 11e biennale de Bamako répond à la question ? Son titre, Afrotopia, tiré d’un essai de l’économiste et écrivain Sénégalais Felwine Sarr, est un néologisme de son invention, désignant « une utopie active qui se donne pour tâche de débusquer dans le réel africain les vastes espaces du possible et les féconder. »

Je me demande comment remettre en cause le discours dominant du marché et la manière occidentale traditionnelle d’exposition ? Certains artistes déjà exposés en Europe ont-ils été vraiment choisis pour le public Africain ? Qui fixe les normes ? Pour le moment c’est le marché occidental car c’est le seul qui achète. Est-ce vraiment une utopie de penser que les œuvres exposées seront achetées par des collectionneurs ou des institutions africaines ? J’ai toujours souhaité que ce soit le cas. Repenser l’accrochage est une idée primordiale. Je n’ai pas vu de recherche d’installation s’inspirant en profondeur des particularités du continent. C’est dommage. Nous avons bien vu avec Art Paris au Grand Palais et AKA au Carreau du Temple, que malheureusement les artistes Africains sont présentés comme une mode, et je me méfie des modes, la plupart du temps éphémères. D’autant que pour cette 11e biennale de Bamako, tous les tirages du IN ont été fait à Paris, les encadrements aussi. Est-ce normal ? Les photographes du OFF, qui n’ont quasiment pas été aidés, ont fait faire leurs tirages à Bamako ou dans d’autres villes africaines, et les encadrements sur place pour la plupart. Si je comprends bien, l’économie est encore franco-française, dans la négation d’un savoir-faire local.

Voici ainsi les travaux qui ont retenu mon attention à la 11e édition des Rencontres de Bamako.

Festival IN

Au Musée National :

  • Fotolala King Massassy – Anarchie productive (Côte d’Ivoire-Mali)

King, avec ses images faites en studio façon images d’Epinal, remet en scène proprement la vie quotidienne malienne, considérée à tort comme « anarchique », alors qu’elle est source d’énergie « productive ».

  • Sarah Waiswa – Stranger in Familiar Land (Ouganda-Kenya)

Je suis enchantée de revoir ces images, d’autant que l’Afrique de l’Est est souvent sous-représentée à la Biennale de Bamako, mais très surprise car Sarah a exposé précédemment aux Rencontres d’Arles, où elle a reçu le prix Découverte en 2016. Le Mali est le pays de Salif Keïta, qui a monté une fondation pour les Albinos, encore persécutés un peu partout en Afrique (surtout en Tanzanie et en Ouganda). Sarah Waiswa sublime l’albinisme, mais pourquoi est-elle de nouveau exposée après Arles à la biennale de Bamako ? Est-ce un hommage rendu à Salif Keïta ? Une possibilité donnée aux Africains de voir ce travail ?

  • Joana Choumali (Côte d’Ivoire), avec sa série ça va aller illustre le traumatisme post-attentat de Grand Bassam. Son talent est d’avoir brodé à l’aiguille, sur des images carte postale, le tatouage violent et indélébile du traumatisme.
  • Alain Polo – Série blanche (RDC-France)

Alain Polo continue ses recherches plasticiennes sur son corps, travail que j’avais déjà remarqué en 2010, dans l’exposition collective SudParis à la maison Revue Noire. A Bamako, il utilise le blanc comme une couleur, la technique important peu.

  • Delio Jasse – The lost chapter (Angola)

Delio Jasse s’est-il inspiré du film Tabou, de Miguel Gomes qui retrace la romance passée d’une vieille dame et de son amant en Angola, alors colonie portugaise ? Le film est tourné sur les lieux de la colonisation portugaise, alors que Délio Jasse présente des photos de familles de colons en Angola, dans le « paradis » perdu du passé portugais. Avec en surimpression les tampons des archives administratives de la famille, afin de systématiser une Afrique fantôme.

A l’institut français :

Les archives servent également de matière aux photographies de Gabrielle Manglou, (L’Autre, extrait du film « Escale argentique », La Réunion) et d’Amalia Ramankirahina (Madagascar) Portraits de famille, présentées à l’Institut Français dans une exposition collective intitulée La Part de l’Autre (commissariat de Nathalie Gonthier). Ces deux artistes se réapproprient le passé, en ajoutant aux documents anciens un imaginaire contemporain et intime. Contrairement à Délio Jasse, qui reste à la dénonciation du passé colonial.

Festival OFF

47 lieux d’exposition répartis dans la ville et ouverts à tous les Bamakois, tour de force rendu possible grâce à la volonté et à l’énergie des photographes.

Quelques lieux emblématiques, tels le cinéma El Hilal, où a été projeté le premier film de Souleymane Cissé. A l’intérieur, le projet collaboratif de François-Xavier Gbré, Yo-Yo Gonthier, Nii Obodai, Kal Touré, avec le soutien de la galerie Cécile Fakhoury ; à l’extérieur les photographies de Nathalie Mazéas.

A « La Gare », exposent Seyba Keita, Bandjougou Kouyaté, collectif d’images conceptuelles. Au Santoro, « Elles en œuvre » : Oumou Traoré, Oumaou Diarra et Kany Sissoko. Au centre Soleil d’Afrique, Jacques M. Q. Do Kokou présente le Chemin du vaudoun hagodrafo à Ouida. A l’Acerca Afrotopia, exposition collective. Mention spéciale à la galerie Médina dirigée par Igo Diarra, agora de créations artistiques à Bamako depuis 10 ans.

Françoise Huguier

Françoise Huguier est une photographe française qui vit et travaille à Paris. De la mode au reportage, de l’instantané à la mise en scène, elle conserve le même œil au graphisme marqué qui ne manque jamais d’humour. Passionnée par les voyages et les rencontres avec des territoires et des habitants, elle nous emmène en Afrique avec Sur les traces de l’Afrique fantôme en 1990, suivi de Secrètes dans lequel elle réussit à entrer dans l’intimité des femmes africaines. Une relation particulière la lie depuis au continent africain.

  

11e édition des Rencontres de Bamako
Du 2 décembre 2017 au 31 janvier 2018
Divers lieux
Bamako, Mali

www.rencontres-bamako.com

 

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android