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Yangon Fashion 1979 : un style à l’écart du conformisme de la rue

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Yangon Photo 1979, présentée par le commissaire d’exposition autrichien Lukas Birk, est la première vitrine d’images prises à la fin des années 70 du studio photo Bellay à Yangon. De façon amusante, elle est aussi sûrement l’exposition qui a suscité le plus de photos prises en selfie de la part du public du Maha Bandula Park.

Fascinées, et le sourire aux lèvres, les femmes de la capitale birmane se prêtent au jeu et aiment à poser devant ces portraits en pied de leurs ainées au look atypique. Les photos, à taille humaine et en noir et blanc, révèlent un curieux syncrétisme de tenues traditionnelles birmanes et d’habits occidentaux : mini-jupes, combinaisons marines, ou encore pantalons pattes d’eph, si symboliques du mouvement hippie. Un contraste saisissant avec l’accoutrement du public qui, presque quarante après, s’habille encore de manière traditionnelle – le plus souvent avec une blouse, un longyi ou un sarong (pièces de tissu utilisé comme jupe pour hommes et femmes) mais toujours avec élégance et couleurs.
Sous le régime de Ne Win, le dictateur qui de 1962 à 1988 a coupé le pays du reste du monde pendant « la voie birmane vers le socialisme », les vêtements à la mode occidentale étaient quasiment introuvables. Seuls les studio photos offraient un choix de tenues exceptionnelles pour leurs clientes, en achetant au marché noir des vêtements, des chaussures et des accessoires aux marins ou aux diplomates. Bien que non officiellement interdites, ces tenues n’étaient certainement jamais montrées dans les rues de Yangon, où régnait alors une atmosphère politique bien trop conservatrice pour ce genre d’expression individuelle.

Yangon Photo 1979, travail du photographe Har Si Yone (Bellay studio), révèle donc une partie cachée de la société birmane des années 70. A l’écart du conformisme de la rue, les tenues étaient souvent inspirées par les célébrités birmanes du monde du cinéma, de la musique ou par des magazines de mode illégalement importés. Les studios devenaient un lieu de liberté de style pour les jeunes femmes de la capitale cherchant à discrètement colorer leur quotidien. Lukas Birk a répondu aux questions de L’Œil de la Photographie.

Comment avez-vous découvert les archives du Studio Photo Bellay et qu’est-ce qui a suscité votre intérêt ?

Les images du Studio Photo Bellay ne sont qu’une partie d’un travail d’archives plus important sur lequel je travaille depuis trois ans. The Myanmar Photo Archive, comme je l’ai intitulé, se concentre sur la pratique photographique des Birmans pendant ou après la période coloniale. L’attention est actuellement sur les années 50, 60 et 70. Au cours de mes recherches, je suis tombé sur Tun Tun Lay, l’actuel propriétaire du Studio Bellay qui m’a dit qu’il détenait toujours les négatifs que son père, fondateur du studio, avait pris dans les années 60 et 70.

Bien que beaucoup de négatifs aient été détruits, j’ai commencé à numériser environ 4000 d’entre eux au cours de l’été 2016. Ces images sont un témoignage très important des habitants du centre-ville de Yangon de l’époque. Beaucoup étaient d’origine chinoise – une communauté qui a grandement souffert sous les réformes de Ne Win.

Ce qui est si fascinant, c’est que le studio photo à cette époque, et en fait encore aujourd’hui dans la plupart des endroits dans le monde, est une réalité parallèle. Comme nous le voyons dans les photos, vous pouvez ressembler à votre chanteur préféré, changer votre style pour quelque chose que vous admirez mais n’osez pas être, ou devenir une autre personne le temps de la séance photo, et garder ce souvenir par la suite. Le Yangon conservateur des années 70 n’a certainement pas permis de mini-jupes et des éléments de mode occidentale, mais le studio était un espace libre sans jugement.

Quel bilan dressez-vous de votre expérience de curateur au Maha Bandula Park ? Qu’est-ce qui vous a le plus touché ?
Quand j’ai appris que l’exposition serait dans un espace public, j’ai été très enthousiaste. Je crois aux installations et aux interventions publiques. De plus, il n’y a pratiquement pas d’activités ou d’installations d’art public à Yangon. J’espérais que l’exposition attirerait d’autres personnes à ce genre de pratique. Pour avoir beaucoup travaillé dans l’art public par le passé, je sais que la taille des images importe, afin que les gens puissent interagir avec elles et ce qu’elles représentent. Christophe Loviny, le directeur du festival, a tout de suite été ravi de cette idée. Les tirages à taille humaine, ou même à un format peu plus grand, ont certainement attiré un grand nombre de personnes, dont l’affectif a été touché. C’était fantastique de voir toute l’interaction et l’enthousiasme des gens. Après tout, tout le monde a une mère, une tante, une sœur, ou une grand-mère, qui détient ce genre d’image. Mais le voir collectivement est une expérience très différente.

Aline Deschamps

Aline Deschamps est photojournaliste freelance et responsable de projets culturels basés à Paris et Bangkok. 

 

9e festival de photographie de Yangon
Du 3 au 19 mars 2017
Yangon, Birmanie
http://www.yangonphoto.com

www.facebook.com/yangonphotofestival

Les projets de Lukas Birk sont à retrouver sur www.myanmarphotoarchive.org et www.lukasbirk.com

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