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Stephen Shames : récit d’une lutte noire américaine

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Le photographe a côtoyé les membres des Black Panthers à la fin des années 1960. Il en livre une vision précise et belle à découvrir à la Maison Folie Moulins à Lille.

« J’étais avec eux », lance Stephen Shames comme un avertissement à ceux qui souhaitent regarder ses photographies de la lutte noire-américaine menée par le parti politique des Black Panthers. A l’époque, Stephen Shames est encore étudiant à l’université de Berkeley et va s’intéresser à ce qui n’est encore qu’un groupuscule d’une vingtaine de personnes. Durant sept ans, il deviendra leur photographe et parviendra à gagner si bien leur amitié qu’il pourra comprendre les racines de ce mouvement social qui se bat pour la reconnaissance des noirs-américains dans la société des Etats-Unis.

Le parti est fondé le 15 octobre 1966 par deux hommes, Huey Newton et Bobby Seale. L’exposition présente d’emblée leurs portraits réalisés par Stephen Shames ainsi que ceux d’autres personnalités qui ont compté dans le mouvement : Eldridge Cleaver, le porte-parole, ou encore Angela Davies, autre leader du parti qui prenait notamment la défense des femmes et des homosexuel(le)s. Les portraits de Stephen Shames sont élégants, bienveillants. Nous sentons immédiatement la complicité du photographe avec son modèle; complicité qui nourrit des images vraies, authentiques et précieuses.

Petit-déjeuner

Précieuses parce que l’histoire des Black Panthers est plutôt méconnue et que le mouvement reste encore controversé dans les esprits aujourd’hui. Les commissaires de l’exposition François Cheval et Audrey Hoareau avouent que de nombreuses institutions ont refusé d’accueillir l’exposition ayant des préjugés sur le mouvement, notamment en pensant que les Black Panthers étaient un groupuscule violent et anti-blancs.

« Aujourd’hui encore c’est difficile d’en parler », estime le photographe, « la télévision par exemple aux Etats-Unis n’a jamais parlé du livre que j’ai fais sur le sujet ». Il aura aussi, à la fin des années 1960, essuyé de très nombreux refus de maisons d’éditions trop frileuses à l’idée de montrer ces images. Des images pourtant essentielles pour comprendre ce mouvement et notamment le fait qu’il n’était pas seulement une organisation de protestation – avec son lot de manifestations publiques – mais un véritable parti politique extrêmement bien implanté dans la communauté noire- américaine et agissant pleinement pour réduire la misère sociale et l’exclusion. « Aucun enfant ne devrait aller à l’école la faim au ventre », disait l’un des fondateurs du mouvement, Bobby Seale. De fait, les Black Panthers proposeront un petit déjeuner gratuit pour les enfants des quartiers où ils étaient implantés.

Fonds documentaire

Stephen Shames photographie ces instants où les enfants dévorent céréales et pain de mie sous l’oeil bienveillant des membres des Black Panthers. « Il faut imaginer qu’ils faisaient beaucoup plus que manifester, ils avaient un rôle actif au sein de la communauté et étaient plébiscités pour leur aide, comme par exemple accompagner une personne âgée faire ses courses pour éviter qu’elle se fasse attaquer sur le chemin », explique Stephen Shames. Fort de la complicité qu’il développe avec eux, le photographe parvient à saisir l’ensemble des actions du parti et s’immisce si bien qu’il constitue un fonds documentaire qui témoigne à merveille de ce qui se tramait alors. Stephen Shames enregistre la colère et la joie qui émanent des manifestants brandissant un poing en l’air ou criant de rage et d’espoir. Aussi, il montre combien le mouvement était également une affaire de style, d’attitude que les membres cultivaient, portant un béret sur la tête et une veste en cuir sur les épaules.

Pistolets

Des images d’un groupe politique en pleine lutte. Bobby Seale et Huey Newton avaient constitué un programme en dix points – présentés à l’entrée de l’exposition – où ils énuméraient les choses à faire s’ils gagnaient les élections : éradiquer le chômage, égalité des femmes, un nouveau procès pour les noirs-américains détenus en prison, la fin des violences policières à l’égard de cette population. A ce titre, Stephen Shames dénonce ces violences par le biais d’une photographie très explicite : une affiche célèbre alors, représentant Huey Newton, est criblée de balles venant des pistolets des policiers. Autres images saisissantes : l’enterrement d’un éminent membre de la communauté, Georges Jackson, assassiné en prison dans des circonstances obscures. Stephen Shames prend les poses des membres du parti venus aux funérailles, le drapeau montrant une panthère noire furibonde noué au balcon de l’église.

Lune

Par son amitié avec les membres du mouvement, le photographe a vraiment su capter toute la mécanique du parti et ses discrètes coulisses. Il photographie par exemple toute l’activité autour de la publication du journal des Black Panthers – l’exposition en présente dans des vitrines et le visiteur se voit distribué un fac similé d’un journal où sont écrites divers informations concernant le photographe et les Black Panthers. Stephen Shames rapporte aussi les mots inscrits par les manifestants sur leurs pancartes : « Free Bobby Seale » par exemple alors que le leader fait de la prison, mais aussi les mots qui peuplent les murs des quartiers où vivent les Black Panthers. Sur l’un est écrit : « We the Black must rise » / « Nous les noirs-américains devons nous soulever ». Sur un autre il y a marqué : « The moon belongs to the people !!! » / « La lune appartient au peuple !!! ». Un slogan d’autant plus fort que l’homme venait de faire ses premiers pas sur la lune et que cet homme était blanc.

Jean-Baptiste Gauvin

 

Stephen Shames, Power to the People – The Black Panthers
Du 29 septembre 2018 au 6 janvier 2019
Maison Folie Moulins
47/49 Rue d’Arras
59000 Lille

http://maisonsfolie.lille.fr

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