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Peter Beard (1938-2020) par Anne Clergue

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Peter Beard et les Clergue

Tout a commencé avec Jérôme Hill, (1905-1972) l’oncle de Peter Beard qui avait une maison à Cassis, la Batterie. Son grand-père avait créé une compagnie de chemins de fer aux Etats Unis, la Great Northern Railway et la First National Bank à St Paul. La liberté était de mise, il devint peintre, réalisateur, photographe, compositeur. Passionné par l’art, il héritait de la collection exceptionnelle de son grand-père où figuraient Corot, Daubigny, Delacroix, Puvis de Chavannes et des membres de l’école de Barbizon. Il devint grand collectionneur à son tour, il crée la Jerome Foundation aux Etats Unis qui soutient les artistes émergents et la Camargo Foundation à Cassis qui accueille des artistes, chercheurs, penseurs en résidence.

Grand admirateur d’Edward Weston, il acquiert des photos de celui qui fut son professeur de photographie. Yolande et Lucien Clergue rendent souvent visite à Jérôme Hill à Cassis. A la suite de nombreux échanges, Lucien lui fait part de son projet de collection photographique pour le Musée Réattu avec Jean-Maurice Rouquette. Il espère que le collectionneur offrira un tirage. Il vient à Arles afin de connaître le musée et fera don de 48 vintages d’Edward Weston au Musée Réattu, étalés en trois étapes, 1965, 1970, 1974. Un véritable trésor qui donne une dimension internationale à cette collection crée en 1965.

Peter Beard adore son oncle et lui rend souvent visite à Cassis. C’est tout naturellement qu’Il vient à Arles rencontrer les amis de son oncle, la famille Clergue. Il a la fougue de ses 20 ans qui ne le quittera jamais. Il veut sauter dans l’arène au cours d’une corrida et tuer un taureau mais l’ancien torero Pataroni ouvre sa chemise et lui montre les effroyables cicatrices causées par les taureaux. Peter se ravise un instant mais va tout de même tenter sa chance avec des taureaux Camargue. Il adore Arles et loge à l’hôtel Arlatan qui à l’époque s’appelle le Touring Club Hôtel.

Mon père l’invite à exposer aux Rencontres en 1984. Nous allions nous promener sur les traces de Van Gogh. Peter escaladait les talus escarpés de l’Abbaye de Montmajour, les murs de pierres en ruine qui s’éboulaient sous ses pieds, enjambait les fils de fer barbelés. Il bravait toutes les autorisations requises et entrait où il voulait, surtout dans les lieux interdits d’accès. Il n’avait peur de rien, avait un charme fou et séduisait toutes les femmes. Sa fiancée du moment venait de rompre son mariage pour être auprès de lui. J’avais du mal à suivre ses OG comme il disait en anglais ses « gin orange » dès le matin, au café le Tambourin sur la place du Forum qui était son QG.

C’était une vie de bohème où tout était simple, rien n’avait d’importance, c’était le temps de l’insouciance. Je me souviens de son banal panier de courses en paille d’où s’envolaient des liasses de billets de 500 francs, cela n’avait aucune importance pour lui. La seule chose qui l’intéressait était les longues discussions sur les artistes, Van Gogh, Bacon, Picasso et les autres. Il fumait de la marijuana et me disait, « Prends une taffe et regarde cette carte postale, tu vas voir des choses extraordinaires ». J’étais timide, je ne comprenais pas tout ce qu’il me disait et je n’osais pas dire non. Il emmenait ma sœur Olivia déjeûner à Baumanière, escaladait les carrières de pierres des Baux de Provence.

Yolande, ma mère venait de créer l’Association pour la Création de la Fondation van Gogh-Arles, en 1983. Elle sollicitait les artistes contemporains afin qu’ils créent une œuvre en hommage à Van Gogh, donnant naissance, 100 ans après sa disparition à cette maison des artistes qui lui tenait tellement à coeur. Lors de discussions passionnées avec Peter Beard, ce dernier lui suggère de demander à Francis Bacon de réaliser un hommage à Van Gogh, lui qui a peint plusieurs tableaux de Van Gogh marchant sur la route de Tarascon, en allant à Montmajour. Il lui conseille alors d’envoyer une simple carte postale d’Arles en noir et blanc, en lui exposant son propos. La réponse fut immédiate et Bacon promis de se mettre au travail au plus tôt. Leurs nombreux échanges aboutiront à la réalisation de son hommage à Van Gogh qui fut exposé pour la première fois lors de l’exposition inaugurale de cette institution naissante en 1988.

Francis Bacon et Peter Beard se connaissaient bien. Bacon avait été touché par les photos de Peter sur les éléphants en décomposition de « The End of the Game ».  Fasciné par ses photos d’animaux Francis Bacon expliquera que pour lui « les plus fortes sont celles d’éléphants en décomposition, sur lesquelles les carcasses se transforment progressivement en de grandioses sculptures, qui au-delà de simples formes abstraites portent l’empreinte de la vanité et du tragique de la vie. » 

Lorsqu’ils se rencontrent au début des années 70, Peter devient le modèle de Bacon. Il réalisera quatre triptyques et neuf portraits de Peter Beard, ils étaient très proches. Le contexte est parfait, « good timing ». Bacon était attentif à Peter Beard, il avait son oreille. Il savait que la demande de Yolande Clergue attiserait tout l’intérêt de Bacon pour réaliser une œuvre en hommage à celui qu’il admirait par dessus tout.

En 1988, je quitte Arles pour New York ou le grand galeriste Leo Castelli m’accueille dans sa galerie de Soho. C’est là que je côtoie les artistes du pop-art. Nous nous rencontrons régulièrement avec Peter au restaurant Jezabel avec ma sœur Olivia qui réalisera une œuvre sous forme de boîte qui représente l’univers du photographe dans la jungle.

Par la suite, Peter a fait de nombreux séjours à Arles au Nord Pinus. Dès son arrivée, sa chambre était immédiatement transformée en atelier d’artiste : des photos, des collages, du faux sang pour la constitution de ses carnets, la fameuse colle U-HU, mille objets incongrus jonchaient le sol et occupaient tout l’espace. Lui aussi voulu participer à la merveilleuse aventure de la Fondation Van Gogh et créer une œuvre en hommage au peintre hollandais.

Un jour d’été, nous sommes partis à la plage avec quelques amis et Peter nous a prié de faire son shopping pour l’œuvre qu’il allait réaliser. Il collera des coquillages, des algues, des bois flottés, des cordages, des bouteilles en plastique, des poissons morts, toutes sortes de déchets récoltés sur la plage pour l’immense photo noir et blanc qui le représentait, face contre terre, les bras écartés.

Le jour où nous avons dû apporter « l’œuvre » à la Fondation Van Gogh, il a fallu trouver un rouleau très large de plusieurs mettre de long afin de transporter l’image qui s’était beaucoup alourdie par tous les objets qui la composait désormais. Nous avons traversé la place du Forum, salués par les arlésiens, comme une caravane qui revient d’un long voyage avec son trophée !

Voici en quelques mots mes souvenirs de Peter Beard avec la famille Clergue. Tout le monde se souvient de Peter à Arles, cet être irrésistible, bourré de talent et libre comme un oiseau.

Anne Clergue, Arles, 19 Avril 2020.

www.anneclergue.fr

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