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L’œil Invisible, les yeux dans les yeux

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L’exposition Arraigados de Pierre Gonnord n’a fait qu’un fugace passage à New York. Il s’agit pourtant d’un véritable bijou qui nous rappelle tout le talent et la sensibilité de cet artiste. Le terme arraigados pourrait signifier « enraciné », « ancré ». Quelle que soit la langue, c’est une notion envoûtante et troublante.

Le parcours se compose de cinq portraits grand format en couleurs. Magnifiquement encadrés, ils sont accompagnés d’une vidéo. Il s’agit de mineurs des Asturies, une région située dans le nord-ouest de l’Espagne. Chacun des sujets a été capturé à la fin de son service, le visage encore charbonneux et marqué par l’épuisement. L’organisme culturel Instituto Cervantes de New York fait voyager cette exposition toute simple de par le monde – à Palerme, Manchester ou Chicago – et malgré sa taille réduite, rien ne vient diminuer l’impact de ce travail.

« Je voulais montrer l’écho du labeur dans leurs visages », explique Pierre Gonnord. Ce mode de vie difficile, dangereux et toxique est appelé à disparaître : les mines n’occupent plus que 10% du nombre de mineurs employés il y a vingt ans. Le photographe leur rend un hommage de toute beauté, unique en son genre et d’une grande puissance évocatrice. « Faire le portrait d’un être, c’est capturer sa personnalité, ses émotions, sa psychologie », ajoute l’artiste. Ces visages témoignent non seulement de ce métier si dur mais également des histoires, des différences culturelles, de l’immigration en provenance de l’Europe de l’Est, et des grèves.

Pour la vidéo, il a demandé aux mineurs – principalement des hommes, mêlés de quelques femmes – de se rincer après leur remontée à la surface, puis de venir se poster devant l’objectif, en prenant l’air aussi détendu que possible. « Je réalisais un gros plan, en silence, avec un seul point de lumière, en dix minutes maximum. » Les résultats sont frappants. Leur fatigue, leur adaptation à la lumière après des heures d’obscurité, tout leur accorde un aspect particulièrement fragile. La frontière est quasiment invisible, entre leurs émotions et leur volonté sincère de se conformer à la requête de l’artiste.

Par un tour de passe-passe dont il a le secret, Pierre Gonnord s’attache à capter l’étincelle dans les yeux de ses sujets, une technique qui remonte à l’époque de Rembrandt. Les yeux deviennent de véritables phares au pouvoir hypnotique et attirent notre regard de manière irrésistible. La lumière limitée crée des ombres obscures qui concentrent l’œuvre et se déclinent pour fondre vers le fuligineux ; les vêtements teintés de gris, de bruns et de verts ternes et assombris viennent s’opposer à la peau sale, tavelée, ridée. Le clair-obscur accorde relief aux visages et loin de les faire sombrer dans les ténèbres, apporte une clarté luminescente aux tableaux. Les âmes sortent de l’abîme pour naître à la lumière. L’œil Invisible les a regardées, les yeux dans les yeux.

 

 

W.M. Hunt

L’œil Invisible est le nom de plume de W.M. Hunt. Il écrit à l’occasion pour L’Œil de la Photographie, qu’il soutient depuis ses débuts.

 

 

Pierre Gonnord, Arraigados

http://nyork.cervantes.es/

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