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« Le mur et la peur » de Gaël Turine à la Galerie Fait & Cause, en partenariat avec Amnesty International

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3 200 kilomètres de barbelés, briques et ciment encerclent le Bangladesh et l’isolent de l’Inde. Terminée en 2007 et officiellement prévue pour enrayer l’immigration et limiter les trafics et autres mouvements indépendantistes, cette frontière physique est dangereuse. Une personne y meurt tous les cinq jours. Le mur est solidement gardé par les forces armées des deux pays. Gaël Turine (Agence VU) l’a parcouru d’un bout à l’autre en 2012 et 2013.

Comment as-tu eu l’idée de ce reportage ? Connaissais-tu l’existence de ce mur Inde-Bangladesh ?

Je voulais travailler sur la notion de séparation entre les peuples et les pays, et plus particulièrement dans une région où un élément physique de séparation aurait été érigé. J’ai écarté les murs largement couverts par la presse pour privilégier les murs dont on ne parle pas. Je ne connaissais pas ce mur et c’est en menant des recherches sur Internet que je l’ai découvert. Ses tristes caractéristiques m’ont convaincu que je “devais” essayer de raconter cette histoire.

Comment as-tu préparé ton reportage depuis la Belgique ?

Principalement par Internet et en contactant Odhikar, une ONG de défense des droits de l’homme basée à Dacca, la capitale bangladaise. Ils connaissent bien le sujet, ils ont d’ailleurs édité il y a quelques années un rapport important sur le mur et les exactions qui y sont commises.

Est-ce qu’on ne sent pas désespérément impuissant ? Espères-tu sensibiliser, faire bouger quelque chose par ce travail ?

Jamais autant de murs n’ont été construits ou rénovés que depuis le Moyen Age. C’est absolument désespérant de faire ce constat qui en dit long sur les nationalismes, les conflits, le sécuritaire, la non-solidarité… Si, à titre de photojournaliste, je réussis à faire connaître ce mur et ce qui s’y passe, ce sera déjà pas mal. Les publications dans la presse, les relais de celles-ci lorsqu’elle évoque le livre et l’expo… permettent à un grand nombre de personnes d’en prendre connaissance. Ensuite, le choix d’une possible (et souhaitée) mobilisation individuelle et/ou collective est du ressort de chacun ou de la communauté. Je ne pense pas que mon reportage fera bouger les choses mais chaque personne qui verra l’expo, lira le livre ou compulsera un magazine qui publie le reportage sera le témoin du témoin…

Tu as cette très belle phrase : « Le rêve d’une vie meilleure l’emporte sur le danger encouru. » L’Inde représente réellement un eldorado pour les Bangladais ?

Malheureusement, beaucoup de Bangladais, en dépit du mauvais accueil qui leur est réservé une fois passés de l’autre côté, continuent de penser que la vie sera plus facile en Inde. Les opportunités sont plus larges, les salaires de misère restent plus élevés que ceux dans leur pays… L’Inde n’est pas, selon moi, l’eldorado des Bangladais, tout comme l’Europe n’est pas l’eldorado des migrants érythréens, afghans, syriens, congolais… Mais comment nier que chez eux c’est bien pire, tellement pire ? Alors, comment oser leur dire qu’ils feraient mieux de rester cdésehez eux… Mais bon, on entre là dans un débat très complexe. Oui, le risque de passer le mur est connu, comme celui de traverser la Méditerranée sur des embarcations de fortune, mais ce risque ne freinera jamais leur souhait, leur besoin, de quitter guerres, famines, dictatures, misère… Le nombre de migrants augmente, les murs aussi.

Comment cela se passait sur place ? Tu as pu circuler librement ? Tu as vécu au pied du mur ?

J’ai fait quatre voyages, deux de chaque côté du mur. Avec l’aide de militants d’Odhikar, je me suis rendu dans plusieurs régions frontalières et nous avons tenté, autant que possible, de pénétrer la zone interdite qui borde le mur (de chaque côté) pour approcher le mur, aller dans des villages et y rencontrer des victimes ou les familles des victimes de la répression militaire frontalière. La liberté de mouvement est restreinte et les prises de vues ne représentent que 4 à 5% du temps passé sur place. Pour l’essentiel, il s’agissait d’élaborer une stratégie de contournement des check-points de l’armée, de rencontrer des familles, d’organiser les moyens et les temps de déplacements à la saison des pluies… Tout ce qui rend possibles les prises de vue.

Quel espoir derrière tout ça ? Y a-t-il une chance que ce mur soit un jour démoli, selon toi ?

Malheureusement, le gouvernement nationaliste indien actuel ne fait que renforcer les contingents militaires frontaliers, approuve des budgets de rénovation des morceaux du mur abîmés… et se servent allègrement du djihadisme international pour manipuler le peuple indien quant au danger que représente le voisin musulman bangladais. Je ne suis pas très optimiste.

C’est un investissement personnel ou une commande ?

C’est un travail personnel, financé par le festival Photo Reporter (Bretagne) et par une bourse du Fonds pour le journalisme (Bruxelles). La presse internationale ne s’est pas impliquée dans son financement mais par contre elle l’a par la suite largement publié.

Que vas-tu chercher dans tes reportages ?

Raconter des histoires d’hommes à hauteur d’homme et satisfaire un besoin quasi compulsif d’aller voir comment fonctionne et ne fonctionne pas le monde.

Qu’est-ce que le fait d’appartenir à une agence (Agence VU) t’apporte ?

J’ai rejoint l’Agence VU sur le tard (j’avais déjà eu l’occasion de la rejoindre après la parution de mon premier Photo Poche en 2001) parce que j’ai toujours pensé que faire un bout de chemin seul était la meilleure école pour apprendre le métier.

Rejoindre l’Agence VU, c’était appartenir à un groupe qui partage une certaine vision de la photographie.

Aujourd’hui, ma collaboration avec l’Agence VU apporte une plus grande visibilité à mon travail, au travers des commandes, de la vente de mes reportages, de la rencontre de nouveaux interlocuteurs.

Haïti, Afrique, Amérique… Le reportage, il est ailleurs pour toi ?

J’ai mené plusieurs travaux en Belgique (Demain j’irai mieux, L’Enfer-me-ment…) et de nombreuses commandes pour des institutions telles que la Fondation pour l’architecture, le Théâtre national, SOS enfants, ou des ministères. Mais il est vrai que la plupart de mes projets personnels m’emmènent dans d’autres régions. Je ne dirais pas que le reportage est ailleurs, mais la découverte et l’enquête au sein de ces autres univers font partie des raisons pour lesquelles j’ai choisi ce métier.

Quel est ton prochain reportage ?

Je vais régulièrement à Port-au-Prince depuis deux ans. J’y anime des ateliers pour jeunes photographes locaux et dans le même temps, j’en profite pour parcourir la ville et y réaliser mon premier travail personnel en couleur visant à faire le portrait de Port-au-Prince. Ce n’est pas un travail journalistique, documentaire, mais plutôt de type impressionniste. Un projet de livre avec le romancier Laurent Gaudé, alliant photos couleurs et texte, est en cours.

www.gaelturine.com

EXPOSITION
Le Mur et la peur
Gaël Turine

Galerie Fait & Cause
Jusqu’au 28 février
58 rue Quincampoix
75004 Paris

www.sophot.com

LIVRE
Le Mur et la peur
Gaël Turine

Photo Poche
Editions Actes Sud

 

 

 

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