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La Chronique Livre : Working Men Have No Country

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Pour L’Œil de la Photographie, les livres photographiques comptent autant quune exposition ou un portfolio. Ils font lhistoire et lactualité du médium. Notre correspondante Zoé Isle de Beauchaine porte un regard inlassablement curieux et averti sur les dernières parutions. 

Les grandes narrations cantonnent souvent les récits migratoires aux territoires occidentaux. Avec Working Men Have No Country, publié aux éditions Essarter, quatre écrivains et photographes ont tenté d’en tracer une histoire alternative, celle des diasporas africaines et des étudiants d’Afrique vers les pays de l’Union Soviétique.

Aboutissement de deux années de recherche et d’échanges entre l’artiste, écrivaine et enseignante Krasimira Butseva, l’artiste Sofia Yala Rodrigues et les photographes Ziad Naitaddi et Guillaume Chauvin, ce livre permet d’entamer une réflexion autour de l’éducation, la propagande et le racisme par le prisme de la pensée post-colonialiste. Le projet est aussi l’occasion d’explorer le potentiel de la photographie et de la littérature à remettre en question « certains principes impérialistes encore appliqués et déguisés en éléments constitutifs de la démocratie ».

Working Men Have No Country est un livre au format original. En guise d’introduction, le résumé des recherches menées par les différents acteurs du projet s’insère dans des tableaux, à l’image de l’outil de travail utilisé lors cette période d’incubation. Les textes de sections sont quant à eux imprimés sur des feuillets plus petits, permettant un dialogue fluide entre texte et image. Les photographies de chaque projet se succèdent dans une mise en page dynamique, toujours inspirée des tableaux de cet outil de travail. L’objet évoque un journal de bord à huit mains.

Krasimira Butseva commence par retracer, dans un essai éclairant, l’histoire de deux grandes vagues de migration vers l’URSS : celle, dans les années 1920, des diasporas afro-américaines, caribéennes et jamaïcaines voulant échapper à la ségrégation, puis celle des étudiants africains lors de la vague d’ouverture du pays menée par Nikita Khrouchtchev. Elle conclut cette recherche par une analyse croisée des conséquences de la chute, de l’URSS d’une part et du colonialisme, d’autre part.

Sofia Yala Rodrigues réalise quant à elle des collages numériques qui, à partir de son histoire familiale, évoquent l’impact de l’histoire des diasporas sur les identités individuelles et tente d’ouvrir un dialogue communautaire autour de ce passé commun. Ziad Naitaddi s’intéresse à l’histoire de Mo Lamouissi, un marocain émigré à Moscou en 1960 pour étudier le cinéma, qu’il croise lui aussi avec sa propre histoire, entrecoupant des photographies de leur passé respectif. Du fait de la pandémie, le projet n’a pu se construire que sur ces échanges d’images par voies informatiques, soulevant la question du rôle du virtuel dans notre rapport à la mémoire collective et individuelle.

Guillaume Chauvin conclut ce recueil de projets en mettant en regard l’histoire de deux jeunes gens, Esther, une étudiante et mannequin nigérienne émigrée en Russie, et Alpha, un soldat guinéen installé en Ukraine. À nouveau, la pandémie faisant obstacle au projet, leur histoire se dessine progressivement, par messages interposés. Une fois seulement réussit-il à leur téléphoner, l’occasion de les « shooter en ligne ». On aperçoit leur visage et des bouts de leur environnement à travers quelques images pixelisées.

Mêlant texte et image avec originalité tout en croisant habilement analyse historique et témoignages contemporains pour mettre en avant un pan méconnu de la vaste histoire des migrations, Working Men Have No Country se distingue aussi bien par son sujet que par sa forme.

 

Working Men Have No Country
Ce livre est un essai d’images et de textes regroupant les travaux et recherches de quatre artistes :
Krasimira Butseva (Bulgarie – Royaume-Uni),Guillaume Chauvin (France), Ziad Naitaddi (Maroc) et Sofia Yala Rodrigues (Portugal – Angola – Royaume-Uni).
Essarter Editions
Septembre 2022
18×26,5cm, 160 pages, 500 ex.
Bilingue : Fr/En
35€
Disponible en librairie ou sur internet

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