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Gilles Berquet : I’ll Be Your Mirror

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Pour sa première exposition à la Galerie Bertrand Grimont, Gilles Berquet revient sur plusieurs années de travail et propose un accrochage sériel mâtiné d’une touche d’humour surréaliste. Et si son exposition emprunte son titre à une célèbre chanson du Velvet Underground (I’ll Be Your Mirror, 1966) évoquant un amour inconditionnel et soumis — le mot miroir est, ici, à comprendre au pluriel.

Dès ses débuts la photographie a été tentée par la série, l’ordre et la classification. Il suffit de penser à Alphonse Bertillon qui, à la fin du XIXème siècle, vit en elle un moyen systématique et scientifique de contrôler la population (criminelle ou non). Il faut ensuite admirer les œuvres de Bernd et Hilla Becher qui, des décennies durant, utilisèrent systématiquement un même protocole photographique afin de garder une image des châteaux d’eau, hauts fourneaux, chevalets de mine et autres objets du patrimoine industriel en voie de disparition. Enfin, plus près de nous, Hiroshi Sugimoto ou Taryn Simon aiment les séries, les images qui se répètent de l’une à l’autre tout en étant habitées de différences. Gilles Berquet, comme eux, utilise depuis 2007 un protocole qui lui permet à la fois de démarrer ses séances de pose par un rituel joyeux et, dans le même temps, de fabriquer une série infinie d’images identiques mais toujours nouvelles et signifiantes.

Qui dit série dit protocole : soit un système clairement défini que l’on met en place et que l’on répète toujours de la même façon. Ainsi, au début de chaque séance avec un modèle, Gilles Berquet photographie la femme, debout, devant un vaste rideau et éclairée de part et d’autre par deux tubes fluorescents industriels. A part une paire de chaussures à talons hauts (qui, on le sait, confèrent un galbe certain à la jambe, définissent une posture et rappellent aussi les œuvres fétichistes du photographe), les femmes donnent surtout à voir leur nudité et choisissent librement leur pose. Pour cette exposition Gilles Berquet a choisi 30 de ces photographies réunies sous le titre de La Femme Idéale (2007-19). Mais le secret de fabrique du photographe tient surtout ici dans un miroir qui se trouve derrière lui au moment où il appuie sur le déclencheur. Du coup, la plupart du temps, le modèle se regarde et se contrôle, s’observe et — même si on peut croire qu’elle fixe l’objectif et notre regard —, c’est avec son propre reflet et sa propre image inversée qu’elle communique. Le cadrage reste le même et la photographie, une fois intégrée à la série, ne peut être datée. On passe alors de l’une à l’autre, plus attentif que jamais aux différences physiques mais, aussi, émotionnelles.

Nous sommes tentés, comme dans le cas de Bernd & Hilla Becher (et, qui plus est, Berquet reprend leur méthode d’accrochage, en grille serrée), d’observer ces images comme un ensemble. Puis nous étudions les portraits un à un. Ici une vaste cicatrice, là une coiffure plus élaborée, ailleurs un tatouage… Mais il y existe une constante : la fierté dans la pose de ces femmes dont le corps, avec un minimum de maquillage et sans retouche à postériori, trahit parfois la trace des ans. L’envie nous vient de lire des traits de caractère différents (la timidité, la délicatesse, l’insolence) tant ces images semblent naturelles. Bien plus naturelles que celles de Bertillon et son avatar contemporain : le portrait biométrique, bien plus naturelles que la moindre photographie imprimée dans un magazine de mode. C’est une invitation à la comparaison mais là où Bertillon se voulait scientifique, Berquet se montre sensible et laisse les modèles exprimer ce qu’elles portent en elles.

La photographie  jusqu’à l’avènement des smartphones et autres machines numériques  était une affaire de miroirs. A la fin des années 1930, l’invention de la visée reflex est une révolution : ce que le photographe voit dans l’objectif sera le cadrage exact de l’image finale. Pour ce faire un miroir bascule à l’intérieur de l’appareil pour envoyer tantôt l’image vers l’œil du photographe, tantôt vers le négatif et le bombarder brièvement de lumière. Berquet s’est d’ailleurs intéressé, dans une autre série de photographies, aux objets frappés d’alignement (2007-12) produits technologiques du XXème siècle rendus obsolètes par l’avènement du numérique. Que le titre de son exposition soit volé à une chanson du Velvet Underground n’est donc pas juste un rappel nostalgique aux années 1960 ou une métaphore du rôle du photographe devant son modèle : cela fait sens ici dans l’omniprésence des miroirs dans son atelier, ses œuvres, ses appareils tout comme dans la culture du selfie et de son ancêtre le Photomaton. Ainsi, dans le petit film-installation AppleBlad (2019), un iPhone diffuse une vidéo reflétée par le miroir intérieur d’un Hasselblad, appareil photographique mythique peu à peu remplacé par les nouvelles technologies. C’est ce fameux miroir de la visée reflex qui  devient, ici, surface de projection d’un théâtre d’ombres et de jeux érotiques. Enfin les appareils photographiques sont aussi présents dans deux images en hommage aux portraits de Marilyn Monroe réalisés par Bert Stern en 1962 ou lorsque certains modèles prennent un miroir dans leurs mains et reflètent alors le photographe au travail, son appareil entre les mains.

Evidemment, la muse et compagne de Gilles Berquet, Mïrka Lugosi, ne pouvait être absente de cette exposition. Elle s’y retrouve d’abord en compagnie de Tessa Kuragi et d’étranges champignons trop beaux (et sans doute trop vénéneux) pour être vrais mais, surtout, pour un unique portrait qui nous observe et nous suit des yeux durant notre visite. Soit la photographie d’un tirage encadré et accroché au mur de l’atelier, image à nouveau imprimée puis encadrée et accrochée cette fois dans la galerie. Car, si la photographie est affaire de miroir(s), elle est aussi une histoire de cadrage, d’ombres, de lumière, de tirage, de grain, d’accrochage, de possession, de regard et — finalement —, de mémoire.

Thibaut de Ruyter

 

Gilles Berquet : I’ll Be Your Mirror

Galerie Bertrand Grimont, Paris

du 2 au 30 novembre 2019

http://www.bertrandgrimont.com

http://www.gillesberquet.com

 

 

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