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Émile Savitry, un photographe de Montparnasse (1903-1967)

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Sous le regard perçant de Colette, figure tutélaire du Musée d’art moderne Richard- Anacréon de Granville et les auspices de Christian Dior, l’enfant du pays, s’ouvre l’exposition consacrée à Émile Savitry, peintre et photographe du Paris des années 1930 à 1950 qui s’y déroule jusqu’au 1er novembre 2020.

L’Académie de peinture de la Grande Chaumière, les cafés du Dôme, la Rotonde et la Coupole, les ateliers d’artistes où posaient des nus, le boulevard Edgar Quinet et les boîtes de jazz ; c’est au cœur de Montparnasse qu’Émile Savitry a entamé sa carrière de peintre, développé celle de photographe, fréquenté ses amis sculpteurs, peintres, poètes, musiciens, c’est là que ce talentueux touche-à-tout qui « avait plus d’une corde à son art » vécut toute sa vie.

Son œuvre ravive « les heures chaudes de Montparnasse », cette ébullition artistique et amicale qui prenait racine dans l’atmosphère enfumée des cafés du carrefour Vavin. On y voit Alberto Giacometti, Victor Brauner, Anton Prinner que Savitry photographia dans l’intimité de leurs ateliers, Samuel Granowski qu’il saisit au zinc de la Rotonde, Jacques Prévert qu’il rencontre avec son frère Pierre à l’époque du groupe Octobre lorsqu’il revient d’un long périple en Polynésie. Il y avait fui un succés trop vite acquis et qui l’effrayait lors de sa première exposition de peinture à la galerie Zborowski en 1929.

C’est à son retour des îles du Pacifique qu’il fait la connaissance de Django Reinhardt sur le port de Toulon, offrant le gîte et le couvert au guitariste manouche encore inconnu et lui révèle la musique de Duke Ellington et Louis Armstrong. La famille Reinhardt rejoindra bientôt Savitry à Paris et trouvera refuge quelque temps dans le bel appartement du photographe, boulevard Edgar Quinet, des photos touchantes en témoignent.

Cette exposition suit le parcours d’un photographe proche des surréalistes où des lumières drues éclairent des visages de masque, le petit peuple de Pigalle croise la jeunesse jazzy des caves de Saint-Germain-des-Prés, les rues de la capitale prennent des allures de décors de cinéma.

Ce cinéma en noir et blanc magnifié par Marcel Carné et Jacques Prévert que Savitry accompagnera sur les tournages faisant surgir « l’éblouissante clarté » des Portes de la nuit et la beauté mélancolique d’Anouk Aimée dans La Fleur de l’âge, film maudit et inachevé, tourné à Belle-Ile-en-Mer en 1947, dont les photographies demeurent le seul témoignage visuel à ce jour, les bobines ayant mystérieusement disparu.

Elle nous imprègne de ce réalisme poétique que Savitry partageait avec Brassaï, Willy Ronis et Robert Doisneau avec qui il fit équipe au sein de l’agence Rapho. Elle nous rappelle à chaque silhouette de ces nus aux galbes harmonieux que le photographe Savitry n’a jamais abandonné les thèmes chers au peintre qu’il demeure.

Elle nous remémore que les préoccupations des artistes de cette époque avaient partie liée avec l’histoire de leur temps ainsi la guerre d’Espagne s’invite dans cet ensemble. Savitry-reporter témoigne de cet événement, au moment de la Retirada, pour le magazine Regards. Pablo Neruda, de retour d’Espagne après la victoire de Franco, ici photographié à la Coupole en compagnie de Paul Grimault et quelques amis latino-américains était un des témoins de l’Espagne républicaine qu’il avait toujours soutenue.

Elle souligne aussi qu’en ce temps-là les photographes vivaient rarement de leur art mais travaillaient régulièrement pour l’abondante presse illustrée pour subvenir à leur besoin. C’est ainsi que Savitry qui réalisa des photos de Mode fut chef de studio du magazine Vogue et collabora avec Le Jardin des Modes. Il immortalise Christian Dior à son domicile parisien en 1947, esquissant à la mine de plomb de nouvelles créations. Sur plusieurs collections du grand couturier français il mènera ses modèles dans les rues de la Capitale pour capturer le mouvement, magnifier les lignes et leur donner de la vie, comme le firent aussi d’immenses photographes comme Richard Avedon, William Klein …

Sur un ton badin, elle se termine avec l’envol de Charlie Chaplin et des marionnettes d’Yves Joly, élégante et légère révérence d’un photographe discret « trop vivant pour se vouloir artiste » comme l’écrivait Claude Roy.

Sophie Malexis Commissaire d’exposition

Journaliste, responsable du service photo du journal Le Monde de longues années, choisit à son départ du quotidien d’entreprendre un travail de recherche et de valorisation de l’œuvre de photographes oubliés à travers des expositions et des livres. Émile Savitry (1903-1967) dont le fonds photographique est conservé dans la collection familiale, en est l’exemple le plus abouti. Cet artiste d’abord peintre surréaliste devenu photographe dans les années 1930, compagnon de route de Brassaï, Willy Ronis, Robert Doisneau, meurt trop tôt pour connaître la renommée que les années 1970 ont réservé à la photographie humaniste et aux photographes de sa génération.

 

Bibliographie :

Émile Savitry, un photographe de Montparnasse, 5 Continents éditions, Paris, 2011

Émile Savitry, un récit photographique de « La Fleur de l’âge » le film maudit de Marcel Carné d’après le scénario de Jacques Prévert, textes de Carole Aurouet et Sophie Malexis, Gallimard, Paris, 2013

www.emilesavitry.com

 

Exposition « Emile Savitry, un photographe de Montparnasse (1903-1967)

réalisée sous la direction de Brigitte Richart, conservatrice des musées de Granville

Musée d’art moderne Richard-Anacréon

Place de l’isthme- 50400 -Granville. Tél 02.33.51.02.94.

Ouvert vendredi, samedi, dimanche jusqu’à fin juin de 14h à 18h et du 1er juillet au 30 septembre du mardi au dimanche de 10h à 18h

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