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Cornélia Klara Poupard, Le temps de vivre

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En 1894, Cézanne rencontre Monet et aurait déclaré : « Monet, ce n’est qu’un œil… mais, bon Dieu, quel œil ! »[1]. Cette réflexion rendant hommage au peintre impressionniste semble tout à fait s’appliquer pour définir le regard photographique teinté d’esthétisme de l’artiste contemporaine allemande Cornelia Poupard.

Dans son travail présenté ici, elle s’intéresse au féminin et utilise le procédé de la série pour capturer des moments privilégiés, fragiles et précieux d’un univers qui nous est révélé avec grâce et volupté. Elle parvient à donner à l’éphémère un sentiment d’intemporalité et de poésie à travers le médium photographique. Empreinte d’une certaine nostalgie voire même de mélancolie, la présence de ces silhouettes plonge le visiteur dans ses propres questionnements tel un miroir. Elle nous propose ainsi de prendre le temps de méditer et de se perdre dans nos pensées pour mieux se retrouver.

C’est dans une atmosphère bucolique qu’elle a souhaité mettre en scène ces fillettes, ces adolescentes, ces jeunes femmes et ces femmes mûres se promenant au gré de leurs pensées dans ces forêts méconnaissables, ce qui ajoute une valeur d’universalité à ce décor où tour à tour ces modèles rient, se reposent, conversent, se divertissent, méditent, admirent leur environnement. C’est de cette intériorité que proviennent le charme et le mystère propres au travail de Cornelia Poupard.

Dans ces séries précédentes, elle s’attelait déjà à observer la nature en photographiant des paysages panoramiques faisant ainsi ressortir tout leur relief et leur beauté. Ici, la nature tient encore une place de premier plan et se trouve magnifiée par le travail particulièrement soigné de la lumière et du traitement des couleurs qui irradient dans toute son œuvre. Les effets de flou et le grain choisis me rappellent les recherches du mouvement pictorialiste né en 1890 et qui a duré deux décennies. Ces artistes ont mis au point de nouveaux procédés pour créer des effets et des contrastes pour estomper, éclaircir ou effacer certaines parties de leurs épreuves jusqu’à la limite de l’abstraction. Certains comme Alfred Stieglitz (1864-1946) utilisent les conditions atmosphériques comme la brume, la pluie, la neige, la poussière pour créer un voile, un écran entre le motif « réel photographié et son image »[2], technique que l’on retrouve chez Cornelia Poupard, qui met à profit le cadre de l’environnement végétal pour mieux valoriser le sujet principal de ces épreuves, l’observation de la vie humaine et la beauté de ses gestes.

Ces œuvres n’ont de cesse de faire référence volontairement ou involontairement à l’effet de flou retranscrit dans les œuvres de Julia Margaret Cameron (1815-1879). Cette artiste britannique a débuté avec des objectifs approximatifs qui dissimulaient les détails et ce flou créé par hasard aboutit quelques années plus tard à une véritable recherche pour devenir le moyen privilégié pour traduire et révéler l’âme de ses modèles, leur aura spirituelle et mélancolique. Cornelia Poupard reprend ce même principe dans ses photographies pour nous faire entrer, grâce à son regard expérimenté de photographe mais également de femme, dans cet univers typiquement féminin. Nous ne savons rien ni du lieu, ni de l’époque, ni de l’histoire de ces femmes représentées. Cependant, l’artiste réussit à créer une narration liant chacun de ces clichés, nous laissant libre de l’imaginer ou de la prolonger. Le spectateur devient dès lors soit le témoin soit l’acteur de l’histoire poétique se déroulant sous ses yeux. Parmi ces œuvres, l’on distingue l’intérêt prononcé de l’artiste pour les périodes charnières dont fait partie l’adolescence, à la façon dont elle arrive à saisir ces moments délicats d’incertitude, d’épanouissement et de recherche de soi sans poser aucun jugement, notamment lorsqu’elle s’attache à photographier le visage de ces jeunes femmes vêtues de costumes traditionnels autrichiens dont elle cherche à attraper un regard, une pensée même fugace.

Rencontrée au musée Marmottan Monet, j’ai pu admirer et constater que son travail sur la lumière, sur les couleurs et sur les reflets font écho aux travaux menés par le chef de file de l’impressionnisme Claude Monet (1840-1926) et par Gustave Caillebotte (1848-1894), qui l’ont tant inspiré pour leurs séries réalisées au parc de Monceau à Paris, lieu incontournable où ces artistes ont utilisé ce paysage d’agrément pour le réinventer avec des cadrages particuliers faisant de ce parc un lieu de la nouvelle modernité picturale. Là encore, ce rapprochement avec l’impressionnisme est incontestable et les mots de Gustave Geffroy le confirment : Monet a toujours été « préoccupé des fugitives influences lumineuses sur le fond permanent de l’univers. Il donne la sensation de l’instant éphémère, qui vient de naître, qui meurt, et qui ne reviendra plus. […] Il dévoile les portraits changeants, les visages des paysages, les apparences de joie et de désespoir, de mystère et de fatalité »[3]. Telles les toiles impressionnistes, les clichés de Cornelia Poupard tendent à décomposer la lumière se reflétant sur la végétation, sur les sujets et sur leurs robes créant un tout, un ensemble.

Doué d’une sensibilité des plus singulières, Cornelia Poupard possède un regard, un œil singulier nous permettant de pénétrer dans son univers et dans ses pensées les plus secrètes. Elle dépeint dans ces paysages verdoyants les impressions vibrantes et colorées du prisme de la lumière. Ces photographies, qui exaltent une certaine douceur de vivre, en symbiose avec la nature, marquent une respiration romanesque et romantique dans cette fuite inexorable du temps. Éloge de l’intime et du féminin, cette exposition de photographies met en scène la nature comme un écho de l’état d’âme de chacun de ces modèles qui ne sont que des prétextes pour sublimer l’élément moteur de ce travail, la lumière. Contrastée, douce, mystérieuse, elle met en évidence l’expressivité des femmes et fillettes dont les attitudes sont dignes des romans anglais de Jane Austen entre rêve et réalité mêlant nature enchanteresse et rêveries de promeneurs où l’instant porte une valeur d’éternité.

 

Aurélie Gavoille

[1] Ambroise Vollard, Paul Cézanne, Paris, Galerie Ambroise Vollard, 1914, p. 88.

[2] Marc-Emmanuel Mélon, « Pictorialisme », Encyclopédie Universalis [en ligne], consulté le 4 août 2013. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/pictorialisme/

[3] Gustave Geffroy (préface), Exposition d’œuvres récentes de Claude Monet, Paris, Galeries Durand-Ruel, 1891.

 

Exposition
Françoise Zeller et Cornélia Klara Poupard
8 au 13 février 2018
Vernissage le 8 février à 18h
Espace Bremontier
5 rue Brémontier
75017 Paris

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