Rechercher un article

La Parte Más Bella: Le nu dans l’histoire de la photographie

Preview

Le Musée d’Art Moderne de Mexico présente actuellement une collection privée, inédite, que Pedro Slim, lui-même photographe, constitue depuis vingt ans. Elle comprend environ une centaine de photographies signées de plus de soixante grands noms dont Manuel Álvarez Bravo, Diane Arbus, Bill Brandt, Larry Clark, Nan Goldin, Robert Mapplethorpe, Man Ray, Francisco Toledo et David Wojnarowicz. Dans cette chronique, le photographe Chuck Samuels nous donne son point de vue sur l’exposition.

Il y a quelques temps Brian Paul Clamp, directeur de ClampArt à New York, m’a informé qu’une de mes photographies, D’après Bellocq (After Bellocq,1991) avait été acquise par Pedro Slim, un photographe et collectionneur mexicain bien connu, et que ma photo serait inclue dans une grande exposition de groupe sur le corps intitulée La parte la más bella / La plus belle partie. Basée sur la collection de Slim. L’exposition serait organisée par James Oles et présentée au Musée d’Art Moderne à Mexico du 19 octobre 2017 au 11 mars 2018. J’ai également appris que l’exposition serait accompagnée d’un catalogue et qu’elle serait une partie intégrante de l’édition 2017 de FotoMÉXICO, une importante biennale internationale de photographie contemporaine organisée par le Centro de l’Imagen, à Mexico. J’ai décidé d’assister au vernissage de l’exposition, et mon voyage a été pris en charge par une bourse de voyage du Conseil des arts et lettres du Québec.

Quelques jours avant le vernissage, j’ai rencontré Pedro Slim à Mexico et ç’a été un vrai plaisir de passer l’après-midi à faire connaissance avec lui, son travail et sa collection. Outre sa concentration sur la représentation photographique du corps humain, la collection n’est pas uniforme – en fait, elle comporte plusieurs aspects distincts. Les hommes photographes et la représentation de corps masculins sont nettement majoritaires dans l’exposition, mais les femmes photographes et les personnages féminins jouent un rôle moindre mais significatif. De même, si la vision est souvent queer et la plupart des œuvres franchement homoérotiques, il existe aussi de nombreuses photographies qui résistent à ces définitions.

Il y a des images du corps magnifiques (dans la tradition modern occidentale) comme Nu de Lee Friedlander (1980) ou les photos de ‘Messieurs Muscle’ de Karlheinz Weinberger, ou encore la photo de Greg Gorman Tony Ward penché (Tony Ward Bent Over) mais il y a aussi des corps “imparfaits” comme La grosse (La gorda) d’Antonio Reynoso (1960) ou le portrait fait en coulisses d’Anthony Friedkin, Divine, Palace Theatre, San Francisco (1972), ou plusieurs des corps défigurés de Joel-Peter Witkin, ou bien des images d’actes auto-destructeurs dans les travaux de Larry Clark et Amos Badertscher.

Il y a des œuvres poétiques comme Le Retour à la raison de Man Ray (1923), une image qu’évoque Richard Soakup d’Edmund Teskes, Los Angeles (1944) – des photographies qui contrastent avec les émouvantes photos de rue d’Arlene Gottfried prises dans les années soixante-dix ou les photos documentaires de Danny Lyon et Sabastião Salgado. À première vue, le choix de ces photographies de rue et ces photos documentaires paraît déroutant, mais réflexion faite, on comprend qu’elles sont des éléments essentiels dans la texture de la collection. En fait, il y a un certain nombre de photographies qui ne représentent même pas la forme humaine mais ont un lien tangible avec le corps, comme les photographies de Peter Hujar du fleuve Hudson et du Woolworth Building, toutes deux prises du point de vue des jetées ouest, un quartier newyorkais de drague gay dans les années soixante-dix. Il y a des images très formelles, dont des œuvres de Bill Brandt, Eikoh Hosoe, Horst P. Horst et Herb Ritts, mais aussi un certain nombre de travaux conceptuels comme les quatre tirages de la série de David Wojnarowicz, Arthur Rimbaud à New York (1978-1979). On découvre des collages d’Antonio Salazar et de John O’Reilly ainsi qu’un ensemble d’images solarisées d’artistes tels que Konrad Cramer, Josef Ehm et Ferenc Berko.

À l’entrée de l’exposition, le visiteur est accueilli par le texte d’introduction de James Oles et deux photographies avec textes de Duane Michals: La plus belle partie du corps d’un homme et la plus belle partie du corps d’une femme (The Most Beautiful Part of a Man’s Body et The Most Beautiful Part of a Woman’s Body (1986). Ces deux œuvres introduisent immédiatement le thème choisi et nous donnent un premier exemple des multiples modes de perception et de comprehension du corps qui figurent dans l’exposition. Dans le cas de Michals, le corps masculin, en particulier l’abdomen, est le lieu où se concentre le désir érotique adulte, tandis que le corps féminin, en particulier la poitrine, est plutôt vu, dans la perspective d’un vieillard régressif, comme une source d’amour, de réconfort et de subsistance.

Une fois l’entrée franchie, on découvre que l’exposition est installée sur les murs d’une grande salle circulaire peinte en gris clair et dans une série de petites enceintes ouvertes rayonnant à partir du centre de la pièce et dont les murs intérieurs sont peints dans une teinte de chair ocre rouge.

Oles utilise l’espace mural continu de la périphérie pour organiser en séquences plusieurs groupes d’images et permettre le déroulement de récits plus longs. Par exemple, sur une long mur gris clair, il réunit trois corps sans visage, Sans titre (Untitled) de David Salle, 1980-90, Sally de Kenneth Josephson (1976) et Ongles californiens (California Fingernails) de Helmut Newton(1981). Un pan de mur les sépare de Fille assise sur un lit sans sa chemise, New York (Girl sitting on a bed with her shirt off, NYC) de Diane Arbus (1968) qui, à son tour, voisine avec un groupe de photographies liées au thème des fenêtres (Fenêtres sales no1 et Fenêtres sales no16 (Dirty Windows #1 et Dirty Windows #16) de Merry Alpern (1994), deux nus de Manuel Álverez Bravo –Sans titre (Sin titulo, 1977) et Ana Maria DG, 1985 – que suit Sans titre 1954 de Roger Catherineau. La séquence se termine avec le Man Ray cité plus haut où le corps d’une femme est baigné dans la lumière irisée venue d’une fenêtre éclaboussée de pluie.

Les espaces plus petits – les demi-hexagones avec leurs deux murs extérieurs qui attirent vers eux les spectateurs – rayonnent depuis le centre de la pièce. Ces structures contiennent des groupements d’images plus petits et plus intimes. Par exemple, Oles utilise l’un de ces espaces cloîtrés pour réfléchir sur les ambiguïtés de la difference sexuelle. La séquence commence avec trois images de taille modeste, dont une photographie de l’artiste Jesús Reyes Ferrreira, qui se présente sous les traits de Salomé; l’image a été prise par Librado García (qui a signé sous le pseudonym de « Smarth ») et s’intitule Salomé ( ca. 1917). La photo est accompagnée de Nahui Olín d’Antonio Garduño (ca. 1924 -27) et de Ce qui est merveilleux de Pierre Molinier (1996). Le deuxième mur présente des tirages un peu plus grands, dont Homme nu en femme (Naked man being a woman, N.Y.C , 1968 ) de Diane Arbus et deux des premières œuvres de Nan Goldin réalisées en 1973, Ivy après une chute, Boston( Ivy with a fall, Boston) et Bea en Greta Garbo le jour de la mort de Steichen, Boston (Bea as Greta Garbo on the day Steichen died, Boston). Le troisième mur poursuit ce groupement avec deux portraits de Anthony Friedkin (Michelle, travesti, Club C’est la Vie, North Hollywood (Michelle, Female Impersonator, C’est La Vie Club, North Hollywood ) et Divine, Palace Theatre, San Francisco, (1972) et se termine avec les portraits directs de Magnolia par Graciela Iturbide, un transgenre “Muxe” originaire d’Oxaca. Habitant un espace intermédiaire entre photographie documentaire et surréalisme, les images énigmatiques d’Iturbide, intitulées Magnolia I et Magnolia II (1986) semblent ancrées hors du temps et,nous ramènent donc à la Salomé de Smarth.

Ailleurs dans l’exposition, on découvre deux exemples du travail de Pedro Slim, des portraits tirés d’un projet à long terme intitulé De la rue au studio (De la calle al studio) où Slim amène dans son studio de jeunes prostitués qu’il a rencontrés dans les rues de Mexico. Domingo et Rogelio, deux portraits de 1999, donnent chacun l’impression d’un personnage endurci mais vulnérable et séduisant. La décision d’intégrer les images de Slim dans l’exposition n’est pas sans risque, mais les œuvres servent à situer sa propre pratique et ses propres obsessions dans le contexte de la collection et, en fin de compte, ses deux photographies se tiennent.

Grâce au travail de commissaire perspicace, sensible et parfois ludique de James Oles, ces photographies si diverses coexistent dans un profond respect pour les images originales et leurs contextes initiaux ainsi que pour leur relation à l’ensemble de l’exposition.

Le catalogue de l’exposition est un livre à couverture rigide bien imprimé avec une reliure rose vif. Il contient une introduction de Sylvia Navarrete, directrice du Musée d’Art Moderne, qui fournit un cadre de référence au sein du milieu mexicain pour le travail personnel de Pedro Slim et sa collection. Il comprend également un essai exhaustif de James Oles, intitulé Beautiful Parts, où il évoque la collection et répond aux nombreuses questions qu’elle soulève. Il affirme que la collection «révèle non seulement l’élasticité des conventions de genre au fil du temps, mais aussi l’utilisation de plus en plus politique de la photographie pour éclairer, miner et problématiser ces conventions.» En plus de son essai, des textes plus courts d’Oles commentent l’importance historique, technique et / ou anecdotique de chaque photographie. Le catalogue se termine par les remarques de Pedro Slim faites au cours d’un entretien avec le galeriste et commissaire d’exposition mexicain, Arturo Delgado.

Dans l’exposition et la publication, le corps est soumis à une multiplicité d’approches. À tout le moins, il est étudié, désiré, érotisé, abstrait, adoré, plaint, aimé, profané, glorifié, parodié, stéréotypé et objectivé. Mais il existe un itinéraire, mis en place par les choix de Pedro Slim lors de la constitution de sa collection et élaboré ensuite par James Oles, que le spectateur / lecteur peut suivre pour examiner la représentation photographique du corps humain de manière nouvelle et progressive.

La force de la collection et de l’exposition ne réside pas dans une cohérence formelle ou orientée vers le contenu, mais plutôt dans une vision singulière, rigoureuse et profondément compatissante, qui se fonde dans le corps humain mais embrasse aussi l’ensemble de l’expérience humaine- une expérience riche et fascinante dans toute sa beauté, son horreur, son espoir et son désespoir.

 

Chuck Samuels

Chuck Samuels est un artiste qui expose ses photographies depuis 1980. Il réalise souvent des autoportraits, et son travail prend pour sujets la mémoire, la photographie et le cinéma.

 

 

 

La parte más bella
Du 19 octobre 2017 au 11 mars 2018
Musée d’Art Moderne, Mexico
11560 Miguel Hidalgo
Mexico, Mexique

www.museoartemoderno.com

 

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android