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Patty Carroll, Anonymous Women

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Depuis plus de vingt ans, Patty Carroll met en scène des modèles, des étoffes et des objets du quotidien pour composer des photographies humoristiques et provocantes qui proposent un commentaire sur le rôle de la femme au sein du foyer. Anonymous Women (Femmes anonymes), publié par Daylight Books, offre au regard des images de femmes dans un cadre domestique théâtralisé où leur identité s’efface au profit des artefacts de la maison. Ces natures (pas complètement) mortes sont colorées, attrayantes et mystérieuses. Patty Carroll s’attache à articuler les relations complexes, à la fois culturelles et individuelles, que les femmes entretiennent avec leur intérieur.

Qu’est-ce qui vous a conduit à commencer ce projet ?

Anonymous Women a débuté alors que je vivais en Angleterre, où mon identité était déterminée par mon rôle dans le foyer ; j’ai découvert que dans cette culture, plus traditionaliste qu’aux États-Unis, le statut domestique a tendance à éclipser la personnalité et la profession de la femme. Photographier des portraits dépouillés de femmes dont la tête est cachée par divers objets du quotidien, exposant leur vulnérabilité, a été ma première réaction face à cette situation inconfortable.

Par la suite, je suis retournée vivre aux États-Unis et, à mesure que je me reconstruisais un chez-moi et une identité, les objets de décoration intérieure en sont venus à représenter pour moi les domaines contradictoires du rire et de la tristesse. Le fait de se constituer un chez-soi, que ce soit en rénovant sa maison ou en atteignant un sentiment de confort intérieur, est encore aujourd’hui une thématique partagée par de nombreuses femmes. Que les menaces soient réelles ou non, la maison demeure un sanctuaire. Et “rester à la maison” est la réaction de beaucoup d’entre elles lorsque la vie semble les submerger. La série avec les draperies porte sur le phénomène d’identification avec l’habitation elle-même. J’explore les zones de friction dans la sphère domestique : il s’agit à la fois d’un endroit de confort et d’un lieu où la décoration peut virer à l’obsession, et où la femme disparaît alors derrière l’écran de son intérieur qui la rend invisible. La sécurité et le confort sont devenus des valeurs extrêmement prisées dans notre société, et cela engendre des conséquences parfois thérapeutiques, parfois oppressantes !

J’ai effectué le travail avec les draperies au moment où se préparait la guerre en Irak et je réfléchissais beaucoup aux questions de la vulnérabilité, de la confiance, de la sécurité, du courage et de l’absurde. Ces notions continuent d’ailleurs à nourrir ma réflexion au quotidien. Je songe aux femmes qui doivent faire face à la guerre, aux conflits intérieurs, aux violences domestiques et à toutes sortes de menaces, réelles ou imaginaires. Et parfois aussi je me moque de moi-même et des autres femmes quand nous perdons notre sens des réalités et que nos possessions matérielles prennent le dessus.

Dans tous les cas de figure, les femmes ont besoin d’une “chambre à soi”. Mes tableaux font référence aux statues drapées de la Renaissance, au voile des religieuses, aux femmes en burqa, à la vierge Marie, à la chasuble des prêtres, aux toges grecques et romaines, et aux robes des magistrats.

Considérez-vous que votre projet se positionne à l’intersection de la mode et de la sociologie ?

Tout à fait. Nous, les femmes, nous cherchons toujours à être belles, tout en voulant être professionnelles, respectées, indispensables, et dotées d’une pensée indépendante. Mon travail explore la condition féminine dans son ensemble, et les préoccupations des femmes, en particulier sur tout ce qui se rapporte au foyer et aux conflits qui gravitent autour de ce sujet.

Avez-vous le sentiment d’être influencée par les codes et l’esthétique de la photographie de mode ?

Oui et non. Les photographies de mode, souvent sublimes, peuvent être une grande source d’inspiration esthétique, mais les idées qui les sous-tendent sont bien différentes de ce qui m’anime. Paradoxalement, je suis lassée par la mode et tout autant fascinée, électrisée par celle-ci. D’un certain côté, il s’agit pour moi de pervertir ce type de cliché, car on ne voit jamais le visage de mes modèles, leur beauté est camouflée. Mes photographies sont visuellement stimulantes et en cela elles empruntent certains tics de la photographie de mode, mais le contenu est différent. Je veux que mon travail soit à la fois une critique et une célébration de l’obsession, de la beauté et de la sphère domestique.

Avez-vous cherché à représenter la place de la femme dans différentes cultures ?

Je pense que toutes les femmes, quelle que soit leur culture, doivent affronter les mêmes défis. Nous sommes toutes mères, tantes, grands-mères ou filles… Nous cultivons des espoirs, des aspirations, nous avons une famille, un travail, des tâches au sein du foyer et en dehors, et des problèmes concernant tout cela. La société contemporaine dans laquelle nous vivons est complexe, et même dans les endroits plus traditionnels ou restreints, les femmes partagent de nombreux problèmes communs à travers le monde, quelle que soit leur situation économique ou leur statut social. Malgré tout, le fait de vivre un temps dans une société plus conventionnelle m’a conduit à réfléchir à ces problématiques. Si mes images parviennent à toucher d’autres femmes, d’une manière ou d’une autre, je considère que j’ai atteint mon but.

Est-ce que vous faites poser de vraies femmes dont l’histoire se reflète dans votre travail ?

Mes modèles sont bien sûr de vraies femmes, mais les photographies ne parlent pas d’elles spécifiquement. Dans mes images, je dépeins des types de femmes plus que des histoires personnelles. Chaque composition met en scène des personnages imaginaires qui sont le fruit d’idées et d’anecdotes disparates.

Propos recueillis par Myrtille Beauvert

Patty Carroll, Anonymous Women
Publié par Daylight Books
45 $

https://daylightbooks.org/

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