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Eugene Richards, Below the Line : Living Poor in America

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Il y a tant de façons d’échouer lorsqu’on photographie la pauvreté. La rendre exotique. Être condescendant. Rester en surface. En cherchant d’abord à montrer le plus flagrant, les photographes peuvent aussi passer à côté de ce qui est humain et déchirant.

Eugene Richards, photographe documentaire qui a passé plus de quatre décennies à enquêter sur les tensions raciales, les inégalités et les classes sociales, a abordé ce terrain délicat à la fin des années 1980, en voyageant dans onze Etats américains, pour rencontrer des familles désoeuvrées. Ce travail est devenu un livre, Below the Line (En dessous du seuil de pauvreté). Ses photos entraînent le lecteur de fermes en quartiers déshérités, du Massachusetts au Wyoming. Elles soulignent ainsi la profondeur de la pauvreté, bien plus universelle que ce que croient les gens, notamment les critiques de Richards.

Là où des photographes moins bons ont échoué, Eugene Richards a réussi avec force. Au lieu de s’ébahir, il observe attentivement. Au lieu de chercher quelque chose à dire, il écoute. Ces qualités font de lui « le plus grand des photographes documentaires vivants », d’après le cofondateur du Bronx Documentary Center, Michael Kamber. L’exposition du BDC, Below The Line : Living Poor in America (Vivre pauvre en Amérique), à voir jusqu’au 6 novembre 2016, est la preuve que Kamber a raison. Elle présente une sélection de photos de l’album phare du photographe, ainsi qu’une vidéo plus récente qu’il a réalisée dans le delta de l’Arkansas.

Eugene Richards est sans aucun doute un maître de la composition et de l’éclairage. Même ses photos les moins impressionnantes, en noir et blanc, deviennent plus intenses lorsqu’elles sont associées aux récits des sujets. Prenez par exemple la photo de Connie Arthur, assise sur le sol, qui vend des étagères dans un supermarché Safeway, dans le Wyoming. C’est une photo tout à fait réussie, bien que discrète, mais il faut lire le témoignage qui lui est accolé pour comprendre son importance.

Sans ce texte, nous ne saurions pas qu’à son arrivée au Safeway ce matin-là à 4h, Connie avait déjà bravé les routes glacées du matin pour livrer le journal local. Nous ne saurions pas qu’une fois la photo prise, pendant sa pause déjeuner, elle allait livrer un autre journal. Ni qu’après son service au Safeway, elle irait faire le ménage dans un hôtel Country Inn pendant plus d’heure. Nous ne saurions pas non plus qu’avec tout ce travail, Connie gagne seulement 13.000 dollars par an, c’est-à-dire pas assez pour subvenir aux besoins modestes de sa famille.

Ainsi, Richards nous force à nous demander s’il est possible qu’une femme travaille aussi dur pour gagner si peu dans le pays le plus riche du monde. Comment peut-on continuer à encenser le Rêve américain quand il est évident qu’il s’agit d’un fantasme ? Si les photos de Richards sont souvent calmes et sombres, il est difficile de ne pas remarquer les injustices autrement qu’avec colère.

Leur écho est fort en 2016. Plus de 45 millions de personnes vivent aujourd’hui dans la pauvreté aux États-Unis. A Melrose, quartier où le B.D.C. a élu domicile, c’est le cas pour presque la moitié des résidents. En fin de compte, le nombre de personnes vivant aujourd’hui dans la pauvreté dans ce pays est plus élevé que lors de la publication du livre de Richards en 1987.

Il faut pourtant souligner que l’exposition ne raconte pas seulement des destins tragiques et moroses. Si Richards condamne les injustices avec sobriété et force, il dresse aussi un portrait indispensable et humain des pauvres.

Ce serait une erreur de ne pas voir que les photos de Richards montrent des moments de joie et de tendresse. Je pense au regard émerveillé d’un groupe d’enfants et d’adultes de la Still House Hollow dans le Tennessee, observant un feu d’artifice dans la nuit noire. Je pense à Shockey, 13 ans, enceinte, que Richards a photographié tandis qu’elle se faisait doucement embrasser derrière la tête par un jeune homme. Je pense à Francisco Gonzalez, tenant une femme malade et vieillissante, Emily Chung, veuve d’un gentil blanchisseur qui l’a accueillie chez elle.

Beyond the Line ne peut évidemment pas changer les situations qu’elle montre. Mais elle peut souligner une réalité trop souvent oubliée : les pauvres ne vivent pas que des chagrins et des malheurs, mais aussi du rire, de l’amour et de la légèreté. Voilà une vérité intemporelle qui vaut la peine d’être partagée.

Jordan G. Teicher

Jordan G. Teicher est un journaliste américain et critique basé à Brooklyn. Ses articles ont été publiés dans Wired, The Washington Post, The Guardian, The Village Voice, entre autres publications.

Eugene Richards, Below the Line: Living Poor in America
Du 1er octobre au 6 novembre 2016
Au Bronx Documentary Center
614 Courtlandt Avenue
Bronx, New York 10451

http://bronxdoc.org/

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