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Entretien avec Didier Brousse

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L’Œil : Comment votre galerie a-t-elle vu le jour ?
Didier Brousse : Cela fait vingt ans maintenant que nous avons ouvert la galerie. C’était en 1993. Je venais de finir des études de photographie et nous avons décidé avec un ami d’ouvrir un atelier de tirages noir et blanc et d’encadrements. Il avait travaillé dans un atelier très réputé aux Etats Unis qui lui avait permis d’acquérir des techniques particulières, notamment en matière de conservation, ce qui existait très peu à cette époque. Rapidement, nous nous sommes mis à monter de petites expositions et je réalisais, en parallèle, des portfolios de tirages originaux d’amis photographes: Eva Rubinstein, Lucien Hervé, Paolo Roversi ou encore Clovis Prévot. C’est ce qui m’a décidé à ouvrir une galerie mais cette fois, non plus avec mon associé mais avec ma femme qui avait des contacts avec des galeries au Japon.

Qu’aviez-vous en tête au moment de sa création ? Vous attendiez-vous à cela ?
Il n’y avait rien de véritablement déterminé au départ, si ce n’est une passion pour la photographie et bien sûr, l’envie de travailler avec des photographes qui nous touchent et nous inspirent. J’ai beaucoup aimé travailler avec le portfolio ; cette façon de publier des photos. Même si je conçois maintenant que cela puisse paraître un peu désuet… Mais pour répondre à votre question, ça a été très dur au début car le marché de la photographie n’existait quasiment pas. Les photos étaient moins chères et surtout, il y avait beaucoup moins d’acheteurs ! Et puis dans le fond, j’ai toujours travaillé de façon consciencieuse mais je ne suis pas quelqu’un d’extrêmement « commercialement dynamique », disons. Cela a donc pris du temps avant que les gens nous découvrent et nous fassent confiance. Pendant plusieurs années, on a vendu une photo tous les deux mois… Il m’était donc difficile d’imaginer que le marché serait aujourd’hui celui qu’il est devenu. Mais, j’espérais tout de même que l’on puisse vivre de la galerie.

Il semble se dégager une certaine ligne à travers les artistes que vous représentez. Comment vous situez-vous ?
J’ai toujours eu du mal à catégoriser… Si je devais la définir, je dirais globalement que c’est une photographie qui se rapproche d’un certain classicisme contemporain. C’est ce qui correspondrait au mieux. Mais en réalité,  c’est plutôt la singularité des photographes qui a toujours prévalu sur le reste — bien plus que de me positionner dans tel ou tel champ. Je n’ai jamais pensé mes choix en fonction des catégories auxquelles la photographie peut se rattacher.

Combien de photographes représentez-vous actuellement ? Et quelle est la fourchette de prix que vous pratiquez ?
Je dirai que notre catalogue contient une trentaine de photographes, parmi lesquels une quinzaine se voient régulièrement exposés et un tiers reste davantage en sommeil. Pour les prix, cela varie de 600 euros à 25 000 euros. Cependant, la grande majorité doit se situer entre 1 000 et 3 000 euros. Excepté pour des photographes comme Sarah Moon où les prix oscillent entre 5 000 et 15 000 euros.


« Avoir pignon sur rue », cela a-t-il encore du sens ? Que pensez-vous de cette nouvelle mode qui consiste à travailler »en bureau » comme on dit, et à recevoir les clients uniquement sur rendez-vous ?  Y avez-vous songé ? Quels intérêts recouvrent selon vous, aujourd’hui, le fait de posséder une vitrine ?
Je conçois que l’on puisse le faire, c’est une façon de travailler un peu plus confidentielle mais en ce qui me concerne, j’apprécie l’idée de savoir qu’une personne, en se promenant sur le boulevard ou en revenant de la Fondation Cartier, décide de s’arrêter et franchir le seuil de la galerie. J’aime aussi les gens de passage qui ne sont pas forcément acheteurs, donc je tiens à cet aspect libre et ouvert du lieu. Après, je crois que c’est sans doute parce que nous sommes dans un quartier qui le permet. Peut être que si nous étions dans le marais, comme certains de mes collègues me l’ont avoué parfois, nous serions nous aussi perturbés par le passage incessant. Nous pensions au départ que ce serait un handicap pour nous d’être éloignés des lieux de passages mais en réalité, ça a probablement été plus long parce qu’il a fallu attendre d’être connus, mais aujourd’hui j’apprécie davantage cette affluence dosée.

Donc si je comprends bien, l’emplacement géographique de la galerie, c’est une chose que vous n’aviez pas forcément choisi au départ ?
Il est vrai qu’à l’origine, nous aurions préféré être dans un quartier plus estampillé. C’est un choix qui s’est fait un peu malgré nous. Nous vivions le quartier et forcément nous regardions aussi des lieux pour la galerie quand nous sommes tombés sur ce lieu. Puis, nous nous sommes rendus compte que la présence de la Fondation Cartier juste en face permettait cet équilibre d’un quartier à la fois calme et passant. Ça faisait sens.

L’essor de la photographie est de plus en plus exponentiel, dans quelle mesure ceci est-il une bonne chose pour la discipline ?
En règle générale, plus il y a de public et d’intérêt pour une discipline, plus l’on peut affirmer que c’est positif. Maintenant, en devenant grand public justement, cela peut engendrer une connaissance plus superficielle et être perçu comme quelque chose de moins valorisant pour les quelques spécialistes ou pionniers qui progressaient à l’époque en terrain vierge. Ce que l’on pourrait objecter par ailleurs, c’est l’aspect commercial et ses effets de mode. Auparavant, on avait plutôt tendance à se reposer sur une connaissance plus longue de l’histoire de la photographie. Mais à travers cet entertainment du médium, d’autres voies se dessinent.

A quoi ressemble votre clientèle ?
Votre question est très pertinente mais encore une fois, j’ai beaucoup de mal à catégoriser. Il faudrait que j’effectue un travail de synthèse sur mes fichiers depuis l’ouverture de la galerie. Mais en attendant, ce, c’est qu’il y a d’une part les achats spontanés ou voués à être offerts, puis les clients fidèles qui achètent dans la durée. Il arrive même que nous entretenions des relations amicales avec certains d’entre eux. Mais il me semble tout aussi passionnant, d’aiguiller, d’amener un acheteur vers une œuvre qu’il ne connaissait pas. Les gens acceptent relativement facilement de prendre des risques, même lorsqu’il s’agit de jeunes photographes ou de photographes peu confirmés. Ce que l’on retrouve peu chez nous en revanche, ce sont les collectionneurs qui achètent exclusivement dans une démarche spéculative.

Croyiez-vous que la reproductibilité de la photographie rende le médium plus difficile à vendre ? Ou au contraire, que cela constitue un argument favorable à son acquisition ?
Ce doit être le cas pour certaines, en effet. Notamment pour les grands collectionneurs qui ont pour habitude d’acheter de la peinture et peuvent ressentir une réticence à cet égard.  Mais la photographie est faite de cela et sa reproductibilité est inhérente au médium. Donc je crois que lorsque l’on aime la photo, qu’on apprend à la connaître, ça ne devient plus un obstacle. D’autant que les gens savent bien qu’il y a l’histoire du tirage, sa qualité et la numérotation qui entrent en ligne de compte. Je m’étonne moi même de constater. Les gens sont d’accord pour la reproductibilité multiple mais tiquent lorsque ça dépasse dix, quinze exemplaires. Prenons quelqu’un comme Mikael Kenna par exemple. Ce dernier fait les éditions les plus larges que nous ayons, à savoir 45 exemplaires. Si l’on regarde ce nombre face à l’audience et aux galeries qui le représentent internationalement, il suffit que chacun de ses représentants vendent trois photos pour qu’elles soient déjà épuisées. Donc c’est assez peu finalement. En resserrant le nombre d’édition, on accroît l’aspect spéculatif. Surtout dans le cas de M. Kenna qui réalise lui même ses tirages. Ça ne me paraît pas si excessif. Notamment par rapport à un tirage jet d’encre décidé à douze ou six exemplaires et sur lesquels le photographe n’aura jamais mis la main… Enfin, on pourrait en discuter pendant des heures ! Surtout quand on a soi-même pratiqué un peu la photo et effectué ses tirages, on fait d’autant mieux la distinction.

Qui ou que vendez-vous le mieux ?
Pour les photographes les plus vendus, et il s’agit de styles très différents, je dirai qu’il y a Mikael Kenna, Pentti Sammallahti, Masao Yamamoto, Sarah Moon et Denis Dailleux.

La frontière entre l’art contemporain et la photographie étant de plus en plus ténue, comment l’envisagez-vous ? Si vous deviez définir l’idée d’une photographie plasticienne, vous la définiriez comment ?
La photographie plasticienne, c’est une photographie qui s’intéresse a priori à la découverte de nouvelles formes. Je ne saurais pas vraiment la définir. Je pense que l’on a tous des images ou des œuvres qui nous viennent à l’esprit, comme les tirages couleur grand format par exemple, mais cela correspond peut être à une époque révolue. Une photographie qui tendrait vers la peinture via le format …

Avez-vous le sentiment que c’est quelque chose que vous proposez dans votre galerie ?
Si l’on entend par là des photographes ou des artistes qui créent des formes inédites en photographie, je pense que oui. Et en l’occurrence à la photographe coréenne JungJin Lee  dont le travail se rapproche de près de la peinture et du dessin. Mais aussi à l’artiste guatémaltèque Luis Gonzalez Palma que nous exposons acutellement, et qui mêle conjointement la résine ou le tissu, à la photographie.

Il semble que le commissariat d’exposition regagne les galeries peu à peu. Est-ce, selon-vous, une façon pédagogique permettant d’attirer une clientèle peut être moins avertie ? Est-ce que c’est une chose que vous pratiquez ?
En tant que galerie, après je ne sais pas comment fonctionnent les autres, nous sommes amenés à faire entre sept et huit expositions par an et souvent avec une équipe réduite  par rapport à celles des musées. Ce qui ne nous empêche pas de faire des choses intéressantes malgré cette « urgence ». Mais de temps à autres, pouvoir se poser et réfléchir à partir d’un thème, c’est une véritable respiration. Donc c’est une chose que l’on a plutôt envie de faire et  je comprends assez cette tendance. Ne serait-ce que par cette envie de creuser un peu plus profondeur. Ensuite, il est vrai que je m’occupe un peu de tout depuis toujours, et que j’aurai sans doute du mal à déléguer …

A quelles foires participez-vous ? Et quelle est la plus rentable ?
Essentiellement Paris Photo. Et depuis quelques années, Art Paris Art Fair et Tokyo Photo qui existe depuis maintenant 5 ans. Bien sûr, épisodiquement, il peut y avoir la Fiac par exemple. Paris Photo est celle qui est la plus rentable pour nous, bien que nous ayons fait de belles ventes à Art Paris.

Ce qui est rédhibitoire chez un artiste qui vient vous présenter son travail ?
Vous savez, nous avons énormément de demandes, et ce que les gens ne comprennent plus, c’est que pour accueillir de nouveaux photographes, cela sous-entend se séparer des autres. Je suis souvent très gêné de constater tant de sollicitations. Or, je sais pertinemment combien c’est important pour un photographe de montrer son travail et à quel point il est désagréable de ne pouvoir obtenir un rendez-vous. Mais moi, si je ne fais plus que du conseil pour les artistes, je ne peux plus faire mon métier convenablement ! A une époque, c’est vrai, je recevais beaucoup mais c’est devenu de plus en plus compliqué. Et il ne suffit pas uniquement que cela m’intéresse, il faut aussi que cela puisse s’encrer dans une collaboration sur le long terme, et que la galerie ait un projet pour cela. Ce qui devient rebutant, c’est quand les gens ne comprennent pas et agissent comme si je leur devais quelque chose. Il y a beaucoup de ressentiment.

Est-ce que cela signifie-t-il qu’il faille avoir déjà exposé ou être reconnu pour faire l’objet d’une représentation chez vous ?
Dans l’état actuelle de la galerie je dirai plutôt oui. Mais je n’exclue pas un coup de cœur ou une découverte. C’est pour cela qu’encore une fois, je regarde toujours ce que l’on m’envoie par mails.

Vous avez plutôt tendance à proposer des expositions monographiques ou collectives ?
La majorité est monographique mais nous faisons toujours une ou deux expositions collectives par an. Comme c’était le cas pour la précédente par exemple.

Pourquoi achète-t-on de la photographie aujourd’hui ?
Pour se faire plaisir, pour collectionner, ou bien les deux. D’autant que l’on peut encore acquérir aujourd’hui des photographies à des prix accessibles. Chacun peut consentir à cet effort et trouver son bonheur. D’ailleurs, c’est même parfois surprenant que les gens puissent mettre jusqu’à un mois de salaire dans l’achat d’une œuvre. Et a contrario, de constater que d’autres, plus fortunés, sont très attentifs aux éventuelles réductions…

Galerie Camera Obscura
268, bd Raspail
75014 Paris
France
Tél. : + 33 1 45 45 67 08
http://www.galeriecameraobscura.fr
12h-19h du mardi au vendredi / 11h-19h le samedi

Exposition en cours :
Möbius, de Luis Gonzalez Palma
Jusqu’au 7 mai 2014

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