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Best of juillet – Arles 2017: Les Nocturnes de Juliette Agnel

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Cette année, les Rencontres font évoluer le Prix Découverte en y associant les galeries. Parmi les près de 200 candidatures, dix projets ont été sélectionnés pour être exposés. Pendant la semaine d’ouverture, les professionnels voteront pour décerner le Nouveau Prix Découverte qui récompense l’artiste et sa galerie à travers une acquisition d’un montant de 20 000 euros. Les œuvres acquises intégreront la collection des Rencontres d’Arles. Parmi les dix propositions, nous avons choisi Juliette Agnel présentée par la galerie Françoise Paviot.

Pourquoi et comment êtes-vous devenu photographe ?

Je suis devenue photographe en passant par la peinture et l’ethnographie. C’est à propos d’un travail sur la forme et la matière que j’ai dû avoir recours à un appareil photo, et que j’ai eu une émotion incroyable en essayant de transformer, par le regard et la photographie, un marron. Grâce à cela, j’ai compris que je pouvais traduire beaucoup plus facilement ce que je ressentais grâce à l’outil appareil photo. La peinture était un médium trop direct et je la vivais comme si j’étais écorchée vive. De plus, je ne parvenais pas à faire apparaître et à partager ce que je souhaitais. L’appareil photo est devenu mon outil. Grâce à lui je peux transmettre, redonner et partager mes émotions les plus profondes. Il me permet de transformer la réalité et de la montrer telle que je la perçois.

En quoi l’ethnographie est-elle fondamentale dans votre parcours ?

J’ai fait une maîtrise sur deux ans qui n’a pas aboutie… Cette discipline est importante pour la question de la rencontre, de l’autre, et sur l’exploration des « autres mondes ». Mes cours sur l’art Dogon à la fac ont été un choc. J’ai vu de nombreux films, de Rouch notamment. Puis je suis partie en Pays Dogon pendant quatre mois, puis trois mois avec une caméra super 8 et un appareil photo. J’ai été fascinée par ces paysages wagnériens et les cieux étoilés. Il y avait aussi beaucoup d’invisible ; beaucoup de lieux chargés de forces telluriques ; un animisme très vivant. J’ai poursuivi avec des lectures d’explorateurs, dernier en date Charcot et Paul-Emil Victor, dans le grand Nord…

Quels sont vos maîtres ou influences ?

Mes influences sont autant dans la littérature que dans le cinéma, la peinture ou la musique. Il y a peu de photographes qui m’ont vraiment influencé au début de mon travail. Je peux citer tout de même Karl Blossfeldt et Isabelle Waternaux. J’ai été très marquée par le cinéma de Chantal Akerman, que j’ai vu très jeune, son travail sur le temps, le silence, la durée d’une image… J’ai été très impressionnée (au sens propre) par la lecture de l’œuvre de Charles Ferdinand Ramuz, par son écriture qui a le rythme de la marche et le dessin des montagnes mais aussi par Robert Walser ou par Rilke, Duras, beaucoup. Le rythme encore, les sons, les mots justes, et la transmission de ce qu’elle vit, au-delà des mots, ce qui fait œuvre. J’ai adoré les expressionnistes allemands, l’explosion de la couleur par Emil Nolde ; l’explosion des formes par Cristina Fernández de Kirchner ; les surréalistes pour leur rapport au jeu ; les Goya de Madrid, le chien de Goya, et le vide dans cette peinture-là, David Friedrich, pour les mêmes raisons.

En quoi la photographie a-t-elle changé votre vision du monde ? ou vous a changé vous-même ?

La photographie me permet de transformer le réel en prenant la matière première dans ce réel. Je ne m’intéresse pas à documenter un lieu, une personne, mais plutôt à en transmettre ce à quoi il fait écho pour moi, dans ce qu’il a d’invisible. J’arrive à transmettre la vision que j’ai de ce qui m’entoure. Des choses simples, du minuscule, à l’espace et aux êtres qui en font partie. La photographie est pour moi un moyen à la fois pour communiquer avec les autres, montrer ce que je vois, et comment je le vois et aussi un moyen pour toucher du doigt un espace impalpable, qui se rapproche d’une recherche intime et personnelle. Je suis mon archéologue. Je fouille dans un terrain vierge à chaque nouvelle série, et j’essaye de rapporter quelque chose de plus profondément enfouie encore. C’est une façon de me donner la parole et de partager avec l’autre. Je vis la photographie, ou ma relation à l’art plutôt (car l’outil n’est pas une fin pour moi, juste un moyen) comme un aboutissement à l’expression de mon intériorité. C’est un besoin vital. Cela change mon rapport à la vie, dans mon quotidien, mais aussi, cela me permet de travailler sur l’intériorité. D’avoir un accès à un monde spirituel.

Présentez-nous la série que vous présentez à Arles…

Les Nocturnes sont une série d’images sur les étoiles présentées en caisson lumineux. Le ciel, dans sa relation à des paysages désertiques et silencieux. Il s’agit d’un travail sur l’infiniment grand et l’infiniment petit. Une prise de conscience de notre relativité face à l’immensité de l’espace. Il y a une étrangeté qui règne dans ces images. Comme s’il s’agissait d’un paysage imaginaire, lunaire.

Quelle est l’étape préparatoire de cette série ?

Cela fait plusieurs années que je voulais faire un travail sur les étoiles, sans savoir exactement ce que j’allais faire. A force d’en parler, j’ai eu l’occasion, en 2014/15, via la MGI (Maison du Geste et de l’Image à Paris) de faire un atelier avec des lycéens, sur les étoiles. Le prof était astronome amateur et avait un matériel incroyable. Nous avons fait plusieurs observations de Saturne et des étoiles sur le parking de l’école, à Saint Michel-sur-Orge. Nous avons aussi travaillé les étoiles en les fabriquant, en photogrammes, sous l’agrandisseur. A la réalisation du livre, nous avons mélangé les deux types d’images, réelles et fabriquées. Il s’est avéré impossible de les distinguer, et le fruit de ce travail a été une réflexion sur le réel et sur l’observation du réel.

Quand avez-vous réalisé ensuite votre propre série ?

J’ai eu ensuite cette occasion, via l’exposition L’éternité par les Astres avec un commissariat de Léa Bismuth aux Tanneries, de réaliser une série sur les étoiles toute pour moi. J’ai d’abord cherché une résidence dans un observatoire pour travailler autant sur la représentation des étoiles, les courbes de la lumière, que sur leur observation à l’œil nu. Mais cette idée n’a pas pu se réaliser. Finalement, pendant l’été je suis partie dans les Pyrénées avec un véhicule qui me permettait de dormir sur les crêtes, hors de portée de la lumière des villes, et aux côtés d’un ciel immense. Toutes les nuits j’ai photographié les étoiles. Toutes les nuits j’ai cherché des paysages qui pourraient accueillir ces étoiles, cette voie lactée, cette lune. J’ai aussi participé à une « nuit des étoiles » qui avait lieu sur les hauteurs d’un pic en prenant des téléfériques, et un petit train, pour faire une unique première image qui m’a donné le ton des suivantes. A partir de cette première image seulement (qui ne fera pas partie des Nocturnes), j’ai vraiment su ce que je voulais faire.

Comment allez-vous montrer ce travail ? 

J’ai d’abord pensé que mes images seraient en mouvement, avec une programmation des LED. Mais au fur et à mesure de les réaliser, puis en trouvant le bon lieu pour les faire, j’ai décidé que les images seraient en caisson lumineux, tout simplement, sans mouvement. C’est aussi comme ça que j’ai laissé une place à deux timelapse dans l’exposition d’Arles, qui sont projetées sur une image fixe sur dos bleus. Le statut de l’image, fixe ou en mouvement, le temps d’une image, et le passage de l’un à l’autre, ça m’intéresse.

Propos recueillis par Sophie Bernard

Juliette Agnel ne présentant que six images à Arles, nous vous en montrons trois issues de sa série Les Nocturnes et cinq de sa série Laps, un travail antérieur réalisé à partir de films Super 8 tournés au Niger, en Côte d’Ivoire et en Guinée entre 2003 et 2005. Les images de Laps sont des photographies d’écran de montage Super 8.

Juliette Agnel, Les Nocturnes
Festival des Rencontres de la Photographie d’Arles 2017

Du 3 juillet au 24 septembre 2017
Atelier de la mécanique
Arles, France

www.rencontres-arles.com

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