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Entretien avec Steven Harris, directeur de la Galerie M97

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Steven Harris est depuis longtemps galeriste et commissaire spécialiste de la photographie chinoise. Installé en Chine depuis les années 1990, il a été témoin de l’émergence de la photographie contemporaine chinoise et l’a soutenue. Harris a joué un rôle important dans les cercles d’art depuis presque dix ans grâce à sa galerie M97, qu’il a ouverte en 2006 à Shanghai. L’entretien ci-dessous a été mené alors que la galerie occupait un stand à Paris Photo en novembre 2016.

Comment placez-vous M97 dans le contexte de l’économie culturelle chinoise ?

M97 célèbre sa 10e année… J’ai ouvert la première galerie M97 en 2006 à Shanghai, et j’ai été associé dans une autre galerie pendant les deux années précédentes, également à Shanghai. Je vis en Chine depuis presque vingt ans, et dans une société qui change à un tel rythme je vois la cohérence et la qualité comme les fondements de toute institution… Quand les choses bougent si vite au sein d’une société, les gens deviennent souvent très ambitieux et aventureux et cherchent à développer de nouvelles idées et opportunités. Mais malheureusement, beaucoup d’institutions échouent ou ont peut-être été mal conçues au départ, et donc elles ferment et quelque chose d’autre vient les remplacer.

Je pense qu’en ce qui concerne l’écosystème des galeries dans n’importe quel pays, l’endurance et la persévérance sont une nécessité, ce qui ne diffère pas trop de ce que nous en tant que commissaires, collectionneurs et amateurs d’art exigeons de nos artistes. Les artistes doivent durer et persévérer dans leur carrière – particulièrement dans les marchés émergents et une économie comme celle de la Chine – et je pense que le rôle de la galerie est crucial pour le développement de le reconnaissance et de la compréhension des œuvres de ces artistes chez eux et à l’étranger.

J’ai d’abord commencé à vivre en Chine (à Beijing) dans les années 1990, lors de l’émergence de la photographie contemporaine chinoise et j’ai donc forgé un lien personnel très fort en observant et en faisant partie de la scène artistique en Chine durant les 15 dernières années. Un autre élément que je crois utile de mentionner, c’est que nous avons peu de soutien institutionnel en Chine. Il n’y a pas un seul département consacré à la photographie dans les musées importants de Chine, et rien en termes de collection sérieuse. Le système de l’art dans son ensemble souffre vraiment en Chine en raison de ce manque d’institutions engagées et cette absence de reconnaissance publique des arts photographiques. Dans un environnement comme celui-là, les galeries et les institutions privées doivent jouer un rôle encore plus important.

Comment, d’après vous, se situe la photographie chinoise dans le marché de l’art local et mondial ? 

Honnêtement, j’essaie de ne pas penser aux marchés mondiaux ou à la scène artistique et plus simplement de me concentrer sur ce que je peux contrôler et promouvoir à partir du contexte chinois. Il y a une énorme quantité de photographes professionnels et d’artistes utilisant la photographie en Chine, mais il faut reconnaître que c’est seulement la crème de la crème qui va marquer l’histoire de la photographie ou même faire partie du marché de l’art contemporain. Donc, mon rôle consiste à collaborer, soutenir et promouvoir le meilleur groupe d’artistes contemporains en Chine. Cela signifie probablement 10-15 artistes au maximum.

En ce qui concerne les marchés locaux et mondiaux, je pense qu’à certains égards, le marché intérieur en Chine est aujourd’hui plus facile à toucher que le marché étranger. C’est le contraire de ce qui se passait dans les débuts. La Chine est un pays vaste et parfois isolé dans la mesure où elle a souvent tendance à se fermer au monde extérieur. Cela peut créer des incohérences avec le monde extérieur dans le sens où un bon nombre des artistes avec qui nous travaillons ne parlent pas anglais et ne voyagent pas en Europe : ils opèrent surtout dans un contexte chinois, de Chengdu à Hanghzou, Beijing ou Shanghai. Cela peut créer un certain type d’indépendance, je pense, par rapport aux œuvres de l’étranger qui peuvent faire partie d’un système global plus intégré du marché de l’art et de l’éducation. Je ne pense pas que ce soit intrinsèquement une bonne ou mauvaise chose, je pense juste que c’est une réalité dans un pays immense comme la Chine avec une si longue histoire et une culture ancienne.

M97 Gallery soutient un bon nombre d’artistes qui utilisent des techniques de photographie analogique, comme le collodion humide sur plaque de verre pour Luo Dan ou l’émulsion de gélatine à l’halogénure d’argent pour Shao Wenhuan. Ils font écho à d’autres artistes chinois qui ont exploré de tels procédés au cours des dernières années. Pourquoi pensez-vous qu’ils explorent ce type de procédés ?

Je ne comprends pas de qui vous parlez quand vous dites qu’ils “font écho” aux œuvres d’autres photographes chinois. Quant à moi, je ne connais personne qui utilise le collodion humide sur plaque de verre en Chine, ou même dans le monde, comme le fait Luo Dan. Le collodion est un procédé très spécial pour cet artiste, qui exige beaucoup lors de la prise de vue et implique une grande quantité de temps et de hasard, donc je pense qu’un artiste comme Luo Dan aime vraiment ce procédé particulier et c’est évident dans ses photographies, qui sont très frappantes.

Shao Wenhuan a étudié les techniques mixtes à l’Académie de Hangzhou et au cours de ses études universitaires il s’est intéressé à la photographie. Donc, en ce qui concerne son travail, je crois qu’il pense toujours en termes de combinaison de matériaux et de différents médias. L’émulsion photographique est devenue pour lui une espèce de peinture sensible à la lumière ou de matériau avec lequel il pourrait travailler sur divers supports et aussi intégrer dans les procédés traditionnels de chambre noire et de peinture.

Je pense que le travail axé sur de tels procédés techniques n’est pas vraiment unique à la Chine. On le constate dans la photographie américaine et européenne et partout dans le monde. Je pense que cette tendance est inspirée par le fait que nous vivons dans un monde post-numérique où les nouvelles technologies sont maintenant anciennes et où la facilité d’emploi de la nouvelle technologie n’est plus utile ou pertinente. De plus, les artistes s’inspirent toujours de l’histoire de la photographie et des origines de la photographie expérimentale créée par des scientifiques, des peintres, des artistes et des innovateurs qui ont contribué à l’évolution de toutes les techniques au cours de l’histoire de la photographie.

Quelle est votre stratégie en tant que commissaire ?

Ma stratégie en tant que commissaire à M97 est de créer les expositions les plus intéressantes et honnêtes que je peux avec les espaces que nous avons. Nous avons maintenant deux espaces d’exposition à M97 et les deux sont de nature complètement différente. Je travaille en collaboration avec les artistes en combinant expositions et planning afin que leurs œuvres atteignent le public et communiquent le mieux possible avec lui. N’oublions pas que de nos jours la photographie peut être très ennuyeuse pour les gens. Nous devons donc trouver de nouvelles façons de communiquer avec des images dans nos espaces de galerie.

Nous continuerons à travailler avec les 10 à 15 artistes avec lesquels nous avons collaboré au cours des 10 dernières années et nous allons progressivement utiliser nos deux espaces pour présenter d’autres artistes qui n’ont jamais été vus à Shanghai.

Y a-t-il des œuvres photographiques qui ont plus de resonance pour vous personnellement ?

En fin de compte, ce qui résonne le plus pour moi en tant que galeriste, commissaire et même collectionneur, est l’authenticité. Le sujet m’est indifférent, ainsi que la technique utilisée, mais si le travail est authentique du point de vue de l’artiste alors je pense que le spectateur sera ému. Bien sûr, cela peut être assez obscur et difficile à mesurer, mais en travaillant de près comme je le fais avec les artistes, c’est clair pour moi quand une œuvre n’a pas un certain élément de génie ou de force, ou si l’on veut, d’authenticité.

Quels sont vos projets à la Galerie M97 ?

Nous venons tout juste d’emménager dans un nouvel espace plus près du centre de la ville, dans le district central de Jingan à Shanghaï. Ce nouvel espace est dans un emplacement extrêmement facile d’accès et donne à la galerie beaucoup de nouvelles opportunités. Nous avons un espace de galerie au 1er étage et ce que nous appelons l’Espace de Projet au second où nous donnons aux artistes un lieu pour créer une vision tridimensionnelle de leur concept d’exposition. Le bâtiment dans lequel nous nous trouvons était à l’origine un espace industriel des années 1940. Donc, d’une certaine manière, l’espace a une composante historique qui le relie à la photographie. C’est fantastique de se trouver au cœur du centre-ville de Shanghai. Nous avons beaucoup de possibilités pour nos artistes ici et c’est actuellement ce sur quoi nous travaillons. Ensuite, nous allons avoir deux expositions individuelles du jeune artiste Huang Xiaoliang dans l’espace de Projet d’en haut, et en bas, nous exposerons de nouvelles œuvres en noir et blanc de l’artiste Sichuan Adou. Je suis impatient de voir leurs deux nouvelles expositions !

Propos recueillis par Marine Cabos

Galerie M97
No. 363, Changping Road
Building 4, 1er et 2e étage
Shanghai, Chine 200041

www.m97gallery.com

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