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Rencontre avec Juliette-Andréa Elie, lauréate du fotoprize 2015

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En mars dernier, le jury du fotoprize 2015, se réunissait pour choisir le travail de Juliette-Andréa Elie. Le fotoprize a pour vocation de promouvoir les jeunes artistes en aidant les diplômés ayant suivi leur formation dans une école d’art française à faire leurs premiers pas dans le marché de l’art. La série primée, Fading Landscapes, est exposée en ce moment au Carrousel du Louvre dans le cadre de la manifestation fotofever. Rencontre avec la jeune lauréate.

L’Oeil de la Photographie : Vous êtes la lauréate du fotoprize 2015 avec votre série Fading Landscapes, pouvez vous nous raconter la genèse de ce travail, et la manière dont il a pris forme ?

Juliette-Andréa ELIE : Je suis partie d’une série à l’encre nommée En voie d’apparition, qui interroge la manière dont les formes apparaissent. J’utilise la photographie avec la même interrogation : comment saisir des formes qui ne sont pas figées, mais en train d’apparaître ou de disparaître ? Ma réflexion sur le paysage s’appuie sur ce mystère. Tenter de restituer la durée dans l’image photographique, car un lieu ne se donne pas immédiatement. J’ai alors commencé à travailler par strates, c’est-à-dire en choisissant un papier translucide, en superposant plusieurs photographies, et en sculptant le papier par endroit pour révéler encore une autre image. Ce processus, long, permet de construire un nouvel espace, un monde des possibles.

ODLP : Vos images sont au croisement de plusieurs médiums, construites par un jeu de superpositions photographiques et de dessins embossés. Cette série va au delà de la simple photographie. Comment vous est venue l’idée de mélanger ces différents médiums et à quelle fin ?

JAE : J’avais déjà travaillé avec des superpositions de calques, où apparaissaient des fragments dessinés de nos images prises au smartphone (« The Cloud », installation à la Villa Cameline, Nice, 2013). C’est une matière qui a du sens dans mon processus, car elle se transforme, à l’image d’un élément naturel récurrent dans mon travail, sous différentes formes physiques : l’eau. Je traque notamment les brumes, car c’est dans les brumes qu’on observe la naissance des formes. En imprimant sur ce papier cotonneux, je retrouve l’atmosphère des brouillards que je photographie. En embossant, en grattant, le papier s’opacifie. Mais si j’imprime une image surexposée, il s’effacera pour laisser apparaître l’image, le miroir ou le papier réfléchissant qui est derrière. Les Fading Landscapes sont instables, troublent notre perception comme si nous étions pris d’une légère myopie. Je me sens très proche de la formule de François Jullien « Les yeux sont alors moins agents que truchements : vecteurs ou passeurs à travers quoi, du paysage, en nous, peut s’enfoncer. »

Ce procédé implique aussi différentes temporalités. Le temps de la prise de vue est relativement court, tandis que celui du gaufrage à la pointe sèche est beaucoup plus long et minutieux. Cette durée et l’unicité des tirages sont pour moi un parti pris important, à l’heure de l’immédiateté et de la surconsommation d’images.

ODLP : Le laboratoire Picto, partenaire de la foire, a réalisé les tirages de l’exposition. Comment s’est déroulée la réalisation de ces tirages si particuliers ? Comment jugez-vous le résultat ?

JAE : Le rôle du tireur a une part très importante dans mon travail. Autant que pour un tirage argentique par exemple. Avec Christophe Batifoulier, tireur de Picto, nous avons travaillé pour mettre au point une « alchimie » particulière et différente à chaque image. Nous avons pu expérimenter différentes techniques d’impression, notamment avec le charbon, un pigment fossile sur un papier japonais très précieux. Mes tirages étant des objets, le travail des  » Encadrements Flamant « , collaborateur de Picto de longue date, a été primordial pour trouver la meilleure manière de  » montrer « . Cela signe le début d’une longue collaboration avec Bati (ndlr : Christophe Batifoulier) et Elisabeth Hering du Service Expo, déjà partenaires d’artistes reconnus et que j’admire.

ODLP : A l’occasion de la foire fotofever, vous présentez la série primée et une carte blanche. Pouvez-vous nous parler de ce nouveau travail qui sera également montré à la galerie Baudoin Lebon début 2016 ?

JAE : Ce que j’appelle Fading Landscapes est un processus de création plus qu’une série. Pour cette Carte Blanche, j’ai donc continué à explorer la notion de paysage, dans un sens assez éloigné de la définition occidentale. Les perspectives s’appréhendent alors par strates presque géologiques, qui engendrent dans la photographie une profondeur temporelle : ce qui est finalement représenté n’est pas ce que l’on voit dans la nature, mais le rapport entre les choses que l’on voit, celles que l’on a vu, et celles que l’on pourrait voir.

Les techniques s’élargissent, et l’embossage laisse parfois la place à des superpositions nouvelles, notamment avec des surfaces réfléchissantes. Mon intérêt pour les sciences s’y révèle un peu plus. Dans Le chaos de la précision, j’ai repris un croquis des carnets de Descartes où il s’interroge sur la réflexion de la lumière sur la formation de l’image sur notre rétine. L’explication apparaît en relief, dans la mer, vue d’un bateau. Un miroir, fixé derrière le calque, renvoie une luminosité particulière, à peine perceptible. Comme lorsqu’on regarde à travers une vitre ou un hublot, la perception en est légèrement affectée. Les sciences et l’art peuvent explorer, avec des méthodes différentes, les mêmes énigmes des phénomènes naturels.

Enfin, dans The high see shadow, j’ai embossé les étoiles du ciel de 2100, vues depuis un glacier islandais dont la fonte est inquiétante. La queue d’un poisson diaphane passe derrière la photographie des monticules de glace et de cendre volcanique, les transformant en montagnes sous-marines. D’après des prévisions scientifiques, cette langue glaciaire de 15km (à Solheimajökull en Islande) se rétrécit chaque année de 50 mètres et perd un mètre en épaisseur.  Si la planète se réchauffe de 2 degrés en 2100 – comme certains scénarios le prédisent- , les glaciers islandais devraient quasiment tous avoir disparu avant la fin du siècle.

En montrant ces grands espaces où les êtres humains sont peu présents, et pourtant influents, c’est aussi notre rapport à l’environnement que je questionne. Ce ne sont pas des lieux d’habitation mais des territoires qu’on traverse, des endroits qui nous donnent le sentiment d’un temps tout à la fois originel et futur. Des sanctuaires cachés*.

* expression utilisée par Sténon, précurseur de la géologie

FOIRE
Fotofever
Exposition lauréat fotoprize 2015, Juliette Andréa Elie
Tirages réalisés par le partenaire de la foire, le laboratoire Picto.
Du 13 au 15 novembre 2015
Carrousel du Louvre
99 Rue de Rivoli
75001 Paris
France
http://www.fotofeverartfair.com
http://julietteandreaelie.com

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